Moussa Tine sur la Candidature de Wade en 2012

Monsieur le Président,

Le débat public dans notre pays est marqué, depuis quelques mois, par la question de la recevabilité de la candidature du Président de la République, dans la perspective des élections de 2012.

En ma qualité d’acteur politique, et de Président d’une formation politique reconnue, il m’a semblé utile de vous faire part d’un point de vue dont les contacts que je garde avec d’autres acteurs m’ont convaincu qu’il est très largement partagé. C’est la raison pour laquelle je me permets, abstraction faite de toute procédure contentieuse, de vous en faire part.

Avec d’autres, il me semble qu’il serait hautement souhaitable que votre juridiction se prononce de manière explicite sur la question de la recevabilité de la candidature de l’actuel chef de l’Etat, si celui-ci devait vous soumettre sa candidature. Rien n’en serait plus dommageable, et aux antipodes de ce qui est aujourd’hui attendu de vous, que le Conseil constitutionnel ne se « défaussât », en rendant une décision se contentant simplement de prendre acte des candidatures déposées devant lui, sans examiner la régularité même de celles-ci du point de vue de l’instrument juridique dont il est chargé du respect, qui demeure la Constitution.

Deux avantages me semblent attachés à une telle démarche. D’une part, elle montrerait que la fonction de votre juridiction, dans la réception des candidatures à une élection, n’est pas « passive », mais bien « active », et que ce dépôt n’est pas une simple formalité d’enregistrement. Ce serait alors une manière pour le conseil d’exercer pleinement son pouvoir de contrôle. D’autre part et surtout, les débats suscités par cette candidature éventuelle de Monsieur Abdoulaye WADE sont suffisamment importants pour mériter, dans la perspective d’un apaisement, le verdict argumenté du juge devant qui les controverses politico-juridiques connaissent leur dénouement.

Pour justifier cette possibilité pour le président sortant, le parti au pouvoir évoque le principe de la non rétroactivité des lois en n’oubliant de dire que ce principe ne vaut qu’en l’absence de disposition contraire du législateur, en l’espèce du constituant.

N’est-ce pas, par ailleurs en déclarant publiquement dans des archives disponibles, que la constitution ne lui permettait pas d’être candidat, le Président de la république, initiateur et inspirateur de la charte fondamentale du 22 janvier 2001, posait ainsi ce qui vaut en droit interprétation authentique du texte ?

De façon simple, si le Président sortant pouvait être candidat, nul n’aurait été besoin de mettre dans les dispositions transitoires l’article 104. Il y’a sur ce point d’ailleurs, un précédent qui a fait suite à la reforme de 1992, qui aurait pu faire loi.

Devant les avis largement partagés par la totalité de la doctrine constitutionnelle sur l’impossibilité pour le candidat sortant de briguer un troisième mandat, il semble que l’on vous cherche un autre argument qui serait fondé sur sa démission en cours de mandat. Il faut rappeler que la constitution évoque la question de la démission dans un article qui traite de l’empêchement définitif du chef de l’Etat. Tout se passe comme si on voulait vous amener à décider que la démission remet en cause le mandat au sens de l’article 28 de la constitution. Une telle manière de faire serait, en plus de constituer un précédent dangereux, certainement une fraude à la Constitution

Dans l’espoir que votre intervention sera salutaire pour la pacification de ce débat, je vous prie, M. le Président, de croire à mes sentiments les meilleurs.

Moussa TINE

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