Le débat sur la coiffure s’amplifie, mobilise des énergies et inquiète une certaine frange de la classe politique sénégalaise, jalouse de son héritage colonialiste. De plus en plus, les sénégalais s’imprègnent de leurs réalités culturelles et s’interrogent sur le bien-fondé de la critique et de ses motivations. En fait, la guerre mondiale des cultures a fini par ouvrir les yeux de ceux qui s’efforçaient encore de les fermer. Même l’Occident, qui avait fini de nous imposer ses coiffures artificielles et dénudantes fondées sur le principe dégradant du « court devant, ras derrière, tempe dégagée », reste aujourd’hui étonné de voir le respect de ce mot d’ordre, plus d’un demi-siècle après les indépendances. C’est dans ce contexte de crise identitaire de la classe politique que certains veulent ingénieusement introduire, dans la course vers l’Avenue Roume, une nouvelle règle dans le processus de sélection pré-électorale. Nous avons cherché à examiner cette démarche.
Cependant, si nous ignorons le style promu par cette nouvelle règle, nous avons identifié, sans beaucoup d’efforts, l’image déclarée forfait dés le départ. Cette image ajournée par l’essentiel de l’intelligentsia est celle-là même qui revendique un retour imminent aux sources. Il s’agit, selon le milieu, des cadenettes, dreadlocks, njañ ou jimbiri keleng. Mais, cette attitude de l’élite intellectuelle ne fait que ternir l’identité souvent mouvementée et malmenée de ceux qui portent une coiffure « qui interpelle ». Ce manque de considération est souvent dû à l’existence d’un passé alourdi par les effets spéciaux projetés par la présence quasi permanente de l’œil du maître-colonisateur, pourvoyeur du bien-être de cette élite. Le discours, on le connaît par cœur. Il faut rompre avec les pratiques et comportements dictés par l’Occident. Mais, nous faisons tout autre chose dans la réalité de notre vie quotidienne. La classe politique semble se morfondre dans un consensus coupable qui consiste à reproduire les schémas, l’image et les prototypes occidentaux.
Face à cette imposture de la classe intellectuelle, certains hommes de culture sénégalais versent au débat leurs contributions. Mais, là n’est pas le problème, car il est inacceptable que cinquante années après les indépendances, les pays d’Afrique du Sud du Sahara n’arrivent pas à accéder à la souveraineté culturelle et politique, préalable à la souveraineté tout court. Cette bataille pour l’affranchissement totale de la conscience de l’élite mérite une attention particulière. Mais, il arrive parfois que des contributeurs, par leurs écrits et argumentations, galvaudent le combat du fait de leurs compromis et compromissions avec les pouvoirs en place. A la solde et au service d’idées saugrenues et anachroniques, ils s’entre-attaquent, se dévoilent et s’enrayent. Ne comprenant plus leur défection culturelle, ils s’invitent dans un débat où les vrais initiés n’ont même plus voix aux chapitres. En tant qu’intellectuel, comment peut-on être autant en déphasage par rapport à sa propre culture.
Le premier but de cette « miette » est justement de démontrer que cette attitude de rejet de ce que doit être le véritable paraître du leader politique sénégalais, relève d’une aberration liée à un problème de rapport de l’élite intellectuelle à son propre passé. Une sorte de honte de sa culture, d’un complexe d’infériorité chronique qu’exige toujours l’ancien maître. C’est pourquoi, on continue de voir la peinture pâle et pittoresque de la coiffure de nos princes d’antan.
A entendre certains sénégalais parler, cette coiffure cristallise en elle toutes les tares de l’humanité. L’attitude est corroborée par le modus vivendi de certaines gens, porteur de cette dont ils ignorent tout. La réalité de la vie montre souvent ces gens-là, soit en marge de la société, soit à contre-courant des progrès sociaux. Cependant, nous sommes-nous posés la question à savoir pourquoi, cette coiffure était un indice de grandeur et de noblesse ? Pourquoi elle était considérée comme un signe d’épanouissement intégral et de liberté ? Qu’elle soit appelée Njañ, Jimbiri keleng, ou autre, cela n’a pas d’importance. Partout et à travers les âges, cette coiffure a toujours été une coiffure de noble, de l’Egypte antique (cf. Wikipédia) à nos jours, en traversant les royaumes sénégambiens du XIXème siècle. Ce qui est essentiel, c’est de retenir que pour tous les hommes et femmes qui arborent cette coiffure aujourd’hui au Sénégal, c’est soit par leur foi, leur proximité avec les idéaux de Maam Seex Ibrë Faal, soit par leur appartenance à un mouvement ou philosophie de revendication et de libération du Noir. Ces différentes voies sont tout aussi respectables les unes que les autres, mais elles souffrent d’amalgames. Il serait intéressant pour la suite de comprendre que, même si ces démarches présentent quelques similitudes, elles n’en gardent pas moins leur distance, les unes vis-à-vis des autres : ces similitudes ne sont pour la plupart que de façade. Malheureusement, l’intelligentsia et la classe politique ont déjà commis le crime non pas seulement de les mettre dans le même sac, mais en plus d’inventer une autre voie. Cette dernière apparaît comme un bac à ordures, dans laquelle on jette les déchets sociaux. Elle est l’antithèse des normes sociales. Les tenants de cette voie jouent fortement sur l’effet ressemblance. Le contenant est à peu près le même, mais le contenu est différent. A partir de là, la coiffure signe de noblesse et de grandeur de nos ancêtres est vite devenue un indice extérieur révélateur d’un niveau de déliquescence des moeurs, de délinquance et de tendances criminelles, et renvoie forcément à la consommation de stupéfiants. A travers leur regard moderne de dignes représentants de l’occident, c’est devenu une coiffure de marginal non fréquentable.
(M. Damel Maïssa Fall, Candidat déclaré aux élections présidentielles de 2012)
Or, nous l’avons déjà dit, n’adopte pas cette coupe qui veut. Cette coupe témoigne d’abord d’une acceptation et d’une fierté de soi, d’une volonté de promouvoir sa propre culture et/ou nature en brandissant ce qu’on a de plus naturel, notre chevelure. Du coup, se raser la tête n’est-il pas un acte de haute trahison de ses propres origines, de sa culture ? Elle symbolise également une soif certaine de liberté : celle qui montre le détachement du corps de l’esprit. Cette liberté qui conduit à l’oubli de l’aspect corporel (en tant que matière) de l’humain au profit de son âme. In fine, une seule question nous hante : ce que nous sommes en droit d’attendre chez un leader est-il sur ou dans la tête ? Autrement dit, la résolution des différents problèmes qui se posent au peuple sénégalais (les inondations, le problème énergétique, la famine dans le monde rurale, la propagation des maladies, la demande sociale jamais satisfaite, les problèmes du système éducatif, la dégradation constante du pouvoir d’achat…) est-elle liée à la coiffure de l’élite destinée à en être l’actrice ? Ce n’est donc pas sur, mais « dedans » la tête que se passent les grandes délibérations qui permettront de trouver les vraies solutions aux soucis quotidiens de notre peuple. Mais, nous sommes-nous une seule fois posés la question du pourquoi l’élite intellectuelle se coiffe toujours de la même façon ? Pourquoi tel candidat aux élections présidentielles se rase complètement la tête (la « boule à zéro » rappelle fortement la colonisation arabe) ? Pourquoi les autres gardent-ils toujours leurs cheveux très courts, à l’instar des pensionnaires de l’école saint-louisienne des fils de chef ? De là, il n’y a qu’un pas à faire, pour savoir que le type de coiffure a tout le temps renvoyé au niveau d’aliénation de la personne.
Le deuxième but de cette « miette » est de permettre au peuple sénégalais souverain d’éviter le piège des intellos. Cette combine mûrement étudiée par les agents néocoloniaux, fervents défenseurs des intérêts de la métropole, consiste à construire une imbrication parfaite du triptyque « noir/crépu/laideur », pour emprunter un peu le langage sméraldien. Le consensus presque général qui a longtemps prévalu a créé un parfait moule pour le colonisé. Il est donc impérieux pour le nouvel intellectuel de se retrouver dans le moule pour pouvoir prétendre légitimement aux bienfaits promis par le système. Et puisque laisser pousser ses cheveux rime avec dénie du système et révolte, cela devient un impératif catégorique de respecter la consigne : « court devant, ras derrière, tempe dégagée ». Nous vous invitons à regarder autour de vous. Dans ces moments pré-électoraux, beaucoup de prétendants au trône sont passés devant vous, du moins, pour ceux qui l’ont osé. Qui d’entre eux a osé mettre à nu sa personne, devant vous, dans toute la profondeur de sa nature, avec en bandoulière l’essentiel de sa culture, et avec à la clé, une seule phrase : « J’ai été choisi pour arracher, avec votre aide, le pays des mains de ces fossoyeurs qui le dépouillent sans cesse, parce que j’aime le Sénégal par-dessus tous ». De tels propos, venant d’un intellectuel de la trempe de Damel Maissa Fall (Candidat déclaré à la présidentielle de 2012 au Sénégal), nous rassure quant à l’à-venir de notre peuple.
Voilà donc arrivé le temps des audacieux, des amoureux de la patrie, car notre pays a besoin de véritables guerriers à sa tête pour sortir de l’ornière.Voilà venu le moment des grands sacrifices, car notre peuple a besoin de vrais fils du terroir dont la fierté n’a d’égale que leur intégrité.
Finie l’époque des Présidents importés, des « Pères fondateurs » et celle des gouvernances par procuration, pour le bien exclusif de notre peuple. Fini aussi le règne des intellectuels ensommeilleurs, complètement anesthésiés par le piège de la domination ethno-esthétique de l’Occident.
Voici arrivés les rendez-vous pré-électoraux, ils seront peut-être nombreux à défiler devant vous pour quémander vos suffrages, mais combien parmi eux cristalliseront autant d’atouts : une image de combattant, une énergie débordante, et une intelligence d’une vivacité proportionnelle à la vitesse de la marche de notre temps ?
(Lamine Ndiaye)