Parachevons l’alternance! (par Lamine Aysa Fall Ndiaye)

Lamine Aysa Fall Ndiaye

Après 12 longues années et 06 jours, le peuple mature du Sénégal a décidé résolument de se séparer du régime d’Abdoulaye Wade qui avait fini de montrer ses limites. Cette nouvelle alternance politique du 25 mars 2012 marque le double changement d’époque et de génération. Cette mise à la retraite des Wade tant voulue par les Sénégalais de tout bord, est également la fin de règne d’une « monarchie ». Ce challenge a été relevé par « un apprenti » du Secrétaire général du Parti Démocratique Sénégalais, en l’occurrence Macky Sall, ancien Ministre de l’intérieur, ancien locataire de la Primature et ancien Président de l’Assemblée nationale du Sénégal.  La passation de pouvoir ce lundi 02 avril venait de montrer à ceux qui en doutaient encore (comme Wade lui-même) que le vieux baobab a été déraciné. Le « nombrilisme » sénégalais consistant à croire que le pays est le « centre du monde » venait d’être encore justifié. N’avons-nous pas l’habitude d’entendre que le Sénégal est « la vitrine démocratique de l’Afrique » ?

Cependant, il faudrait que les nouvelles autorités du pays prennent la pleine mesure de ce « renversement politique ». Le cri de ralliement de Wade synonyme de changement finalement devenu synonyme de caducité et de péremption n’a pu tenir aucune de ses promesses. Ce qui a fait très tôt dire à Talla Sylla que «l’alternance a accouché d’une montagne de souris ». La médiocrité, l’insolence et l’arrogance érigées en règle de comportement avaient pris le dessus sur nos valeurs cardinales. Il a fallu autant de hargne et d’hétérogénéité idéologique qu’en 2000 pour donner les derniers coups de massue au régime « libéral » du pape du « wax-waxeet » (dire et se dédire). La mise en commun des synergies et de toutes les énergies de l’opposition et de la société civile à travers les conclusions des Assises Nationales du Sénégal et sa charte de bonne gouvernance a fédéré tous les sénégalais de l’intérieur comme de la diaspora autour de l’essentiel. La réduction du nombre de Ministre dans le gouvernement, la baisse des prix des denrées de première nécessité, la réduction drastique du train de vie de l’Etat, ajoutées à la fin de l’impunité devront sans conteste convaincre les sénégalais de rester soudés autour du tout nouveau régime. Ce régime et ce gouvernement ne seront pas dits de « l’alternance », car l’alternance n’est que la première étape vers la réalisation des aspirations légitimes du peuple, et non une fin en soi. Mais, de la solidité de ce gouvernement, de la franchise et du courage du peuple sénégalais à accompagner le régime issu des élections du 25 Mars 2012, dépendra ainsi le décollage politique et économique du Sénégal.

Un changement politique suppose un changement des politiques. Nous avons des hommes neufs avec la mise en place du 1er gouvernement du Président Macky Sall. Ils ont de l’expertise et de l’expérience avérées dans leurs domaines respectifs, mais un gouvernement c’est une équipe. Et au-delà de l’entente dans la discipline, elle a besoin d’être supportée, accompagnée par tout un peuple. Mais, ce peuple a très tôt posé les conditions de sa participation. A l’unanimité, tous pensent qu’après la traduction des promesses de campagne en acte, il faut passer à la phase « goqi » (l’expression est de Talla Sylla) ou restitution sans délais ni conditions jusqu’au dernier dénier acquis sur le dos du peuple sénégalais. Les sénégalais ont la conviction que les biens mal acquis par les tenants du régime de Wade, sans exclusive, rendus, peuvent servir aux contribuables croupissant sous le poids des taxes. Il faut donc parachever l’alternance politique. Wade et son équipe ont des comptes à rendre au peuple sénégalais. Comment un ministre peut-il être riche en milliards en une décennie dans un pays comme le nôtre ?

Parachever l’alternance politique, c’est créer les conditions d’une restitution rapide de la totalité des fonds détournés en commanditant dans les plus brefs délais des audits  « chirurgicaux » ciblés à l’endroit de toute personne ayant eu en charge la gestion de deniers publics de 2000 à maintenant.

Parachever l’alternance, c’est aussi rassurer les sénégalais, en fermant les portes de l’enrichissement illicite à tous les membres du nouveau gouvernement à travers l’érection de la déclaration de patrimoine en condition minimale d’exercice du pouvoir.

Parachever l’alternance, c’est également se donner les moyens d’une dissolution de l’Assemblée nationale dans les meilleurs délais, ce qui permettra au peuple de mieux s’identifier à sa propre représentation.

Parachever l’alternance, c’est bannir la transhumance politique, ainsi que le recyclage politique. En fermant les portes d’accès à la gestion des affaires publiques à toute personne ou groupe de personnes ayant lutté pour la pérennité du régime des Wade, le Président Sall pourra se targuer d’insuffler le véritable changement et d’éviter les jeux de remplacement. Le M23, le Mouvement « Y’EN A MARRE », l’Opposition dans sa totalité, tous ont dit : CHANGEMENT oui ! mais pas REMPLACEMENT.

Parachever l’alternance politique, c’est enfin, aider Abdoulaye Wade à descendre sans beaucoup de mal de son nuage, car il n’a pas fini de prendre son rêve pour la réalité. Ceux qui ont vu Abdoulaye lever triomphalement ses bras au ciel, jubiler comme un vainqueur à l’occasion de « son » congrès du 31 mars, savent de quoi nous parlons. Wade continue d’exercer un pouvoir même si on ignore lequel. Il voyage avec l’avion de commandement et est accueilli et hébergé dans nos ambassades (selon certains). Les nouvelles autorités du Sénégal ont tout intérêt à l’aider à se rendre à l’évidence, en lui faisant comprendre qu’il en a fini avec la gestion des affaires de l’Etat depuis le 2 avril 2012, date de la passation de pouvoir.

En somme, parachever l’alternance politique, c’est achever tout simplement le Parti Démocratique Sénégalais. Il s’agira pour nous de « couper la parole » à tous ceux dont le dessein a été de plonger notre pays dans les abîmes tout en cherchant à se hisser aux cimes de la jouissance matérielle. Ils ne méritent nullement ni la sympathie ni l’attention du peuple. L’une des règles d’or en démocratie, c’est aussi de faire payer jusqu’au plus petit centime tous les voleurs et fossoyeurs de la Rés publica, mais surtout de mettre hors d’état de nuire tous ces violeurs, trafiquants de drogue en tout genre, « blanchisseurs » d’argent sale, et autres grands délinquants économiques.

Voilà les vrais grands chantiers sur lesquels le peuple, déterminé, attendra le Président Macky.

Toutefois, l’espoir est permis. Au regard de la composition du nouvel attelage gouvernemental, le peuple a de quoi être fier de son geste du 25 mars 2012. L’équipe d’Abdoul Mbaye est vraiment un gouvernement des surprises. Pour des raisons didactiques, notre analyse ne relèvera que trois surprises majeures.

Première surprise positive, c’est la présence de Monsieur le Ministre de la Culture et du Tourisme, Youssou Ndour. Son seul tord, selon ses détracteurs (Dieu sait qu’ils sont nombreux), est de n’avoir pas fait d’études poussées. Nombre de nos compatriotes sont restés bloqués sur le paradigme colonial du mythe du diplôme. Youssou Ndour, Ministre de la Culture et du Tourisme, il faudra désormais s’y faire. Le choix du Président Macky Sall se justifie plus par le don de cet homme expérimenté à se maintenir au sommet de sa réussite. Homme de culture doublé d’un acteur culturel, Youssou Ndour a fini de faire la preuve de ses talents de manager. Ils ne sont vraiment pas nombreux dans notre pays, ces « analphabètes » qui sont devenus incontournables du fait d’avoir créé de toute pièce des empires ou des pôles économiques, faisant ainsi travailler des sénégalais.

Deuxième surprise positive : c’est la consécration d’un « quatre-vingt huitard » non parrainé. L’entrée de Benoît Joseph Sambou dans le gouvernement de Macky Sall est la preuve sans conteste de la volonté du chef de l’Etat de récompenser le mérite quelque soit son auteur. Sans parler des deux masters (communication et management) dans sa besace, qui peut douter dans ce pays de la rigueur et de la profondeur de l’engagement politique de ce digne fils de la Casamance. Il a été de tous les combat depuis 2000, faisant partie de ceux qui ont très tôt compris que l’inventeur du « sopi » avait tourné le dos aux intérêts du Sénégal et de son peuple. Benoît qui s’est toujours défini comme le fils spirituel de Robert Sagna ne bénéficie politiquement d’aucun parrainage contrairement aux autres jeunes de sa génération qui ont brillé dans le champ de la contestation. Tout seul, il s’est frayé sa voie, avec comme seul arme, son franc-parler et son amour de la justice. Son intelligence et ses capacités à s’adapter à toute sorte d’ambiance lui garantissent une réussite presque certaine dans ce domaine oh combien complexe. En lui confiant le portefeuille de l’agriculture, le Premier Ministre pourra avant tout compter sur ses immenses talents d’homme de dialogue, dans un secteur en pleine mutation et en constante demande.

La surprise négative, reste l’absence de Monsieur Damel Meissa Fall, chef de fil de la formation politique dénommée « Sunu Naatange Réew », membre de la Coalition Macky 2012. Ce sénégalais bon teint reste le porte drapeau des émigrés sénégalais (Italie, Espagne, France, USA, etc). Ce petit-fils de Damel s’est résolument engagé à défendre la République. Choisi pour être leur porte-parole, l’homme n’a depuis lors pu se reposer. Il s’est investi avec l’ensemble de ses militants de l’intérieur comme de la diaspora pour le triomphe de Macky Sall. Ce valeureux sénégalais, urbaniste-aménageur, géographe-développementaliste, écrivain et militant de la cause noire a capté notre attention dés le départ, par son engagement  en faveur de la Rupture et sa détermination à faire triompher les valeurs qui font les grands peuples

Cependant, nous avons la conviction que l’on peut être utile pour son pays à n’importe quelle station. L’essentiel aujourd’hui, c’est de se mettre au travail.

En marquant ainsi la fin de la récréation, le Président Macky Sall a voulu aussi marquer le début des mobilisations pour la reconstruction de notre cher pays. Mais, cette reconstruction du Sénégal ne peut être l’affaire d’une seule personne, fut-elle le Président de la République. Unis comme un seul homme, le peuple sénégalais devra poursuivre le travail qu’il a entamé, mais pas à la manière du 19 mars 2000, où tout a été laissé au Président.

Il s’agit fondamentalement d’agir ensemble, mais autrement.

Lamine Aysa Fall Ndiaye
Coordonnateur du C.R.I.E
laminaysafaalnjaay@yahoo.fr

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