La transcription de nos langues n’est pas de la ratatouille (Lamine Aysa Fall)

Le tord de Tounkara : l’animateur de télé qui préfère la chaleur des échanges de mots aux maux de l’air conditionné des studios

Il y a quelques années, je faisais partie d’une délégation de l’Alliance Jëf Jël qui devait prendre langue avec les responsables du parti d’Idrissa Seck pour des discussions de questions politiques qui intéressaient l’opposition. L’occasion m’était ainsi donnée pour la première fois de donner mon point de vue sur la transcription « erronée » de l’appellation du parti d’Idrissa Seck. J’avais relevé toutes ces remarques. Cependant, même ayant accepté, mes interlocuteurs ne semblaient pas mesurer suffisamment l’ampleur des dégâts.

Et voilà que je viens de lire la lettre que le percutant animateur de télé a envoyée à l’ancien Premier ministre, à travers laquelle il semble fustiger l’orthographie du nom de son organisation. A juste raison !

Je me permettrai d’apporter quelques précisions par rapport à des erreurs qui se sont invitées dans l’argumentaire de M. Tounkara.

D’abord sur la liste de langues codifiées qui jouissent du statut de « langue nationale », et qui ne sont pas moins de 25. On peut les classer en 3 catégories selon leur spécificité.

Groupe des 6: Wolof, Pulaar, Seereer, Joola, Mandika, Soninke (sont les premières langues nationales codifiées, précisions de l’art. 1 de la Constitution du 7 janvier 2001)

Groupe des 5: Hasaniya, Balant, Mankaañ, Noon, Manjaku (possibilité de recherches complémentaires)

Groupe des 14 (qui a bénéficié d’un programme intensif de codification entre 2002 et 2005): Saafi (déc 2002), Baynunk (déc 2002), Bajaranke (déc 2003), Ndut (déc 2005), Jalonke (déc 2003), Bëdik (déc 2002), Bamana (déc 2005), Koñaagi (déc 2004), Basari (déc 2002), Lehaar (déc 2003), Paloor (déc 2004), Bayot (déc 2004), Pepel (déc 2004), Ramme (déc 2005).

Ensuite, par rapport à la transcription de l’appellation du parti d’Idrissa Seck (Reewmi), je m’étonne qu’avec tout le personnel politique à sa disposition, émargeant au nom de son parti, qu’il n’y ait jamais eu de rectificatif de cette « faute d’orthographe ». L’auteur de cette dernière se serait peut-être dit, que  « ce n’était pas grave puisque personne ne s’en rendrait compte ». Erreur ! En tous les cas, Monsieur Tounkara a eu le mérite de s’offusquer publiquement de cette bévue monumentale qui sous-traite nos instruments linguistiques nationaux en mal de promotion. C’est donc, dans cette perspective que je m’exerce à apporter ma contribution à l’élan de bienfaisance du professeur Tounkara.

Je suis entièrement d’accord avec lui sauf sur le point central de sa critique qui porte sur l’orthographie du mot. Si je suis la logique de sa décomposition du vocable, il aurait écrit « Reew mi ». Or « Reew » en wolof renvoie à un qualificatif qui signifie «impoli ». Je ne pense pas que M. Seck aurait suffisamment manqué d’inspiration et de lumière pour choisir d’appeler ainsi son « instrument de commerce politique ». Contrairement à Tounkara, je soutiens qu’il faut absolument accentuer le « e » pour faire le son adéquat « é » (se prononçant de la même façon que le « é » de «mérite ». Il suffira juste d’allonger la voyelle en lui adjoignant un « e » pour faire la voyelle longue « ée ».

Les spécialistes des questions liées aux langues nationales, et en particulier les « wolofologues », se désolent toutes les fois où ils se retrouvent devant un écran de télévision. La « 2S » fait-elle l’exception ? Cela relève presque de l’extraordinaire que d’y lire une transcription correcte de phrases en wolof décrivant un produit commercial. C’est comme si personne ne s’intéressait à l’écriture de nos langues au moment où, la réflexion autour de leur introduction dans le système scolaire se trouve à son plus haut niveau.

Pour rappel, déjà en octobre 2002, des langues nationales ont été introduites dans quelques 155 classes expérimentales du cycle fondamental (écoles élémentaires) sur l’ensemble du territoire national. Egalement, deux grandes rencontres ont été consacrées à la préparation de cette rentrée d’octobre 2002: la formation des inspecteurs de l’enseignement élémentaire au CESAG, du 24 juin au 06 juillet 2002, mais aussi la rencontre de Saly Portudal, deux semaines plus tard, consacrée à la validation du schéma directeur de la mise à l’essai de l’Introduction des Langues Nationales à l’Ecole Primaire. Faut-il encore le rappeler, le texte du Schéma Directeur ainsi que certains textes relatifs à l’enseignement du français dans le cadre de la nouvelle expérience dite du “bilinguisme positif” existent depuis cette date.

Par ailleurs, la codification est une science et la transcription ne saurait souffrir des tares de l’approximation. Elle requiert un minimum de maîtrise des savoirs et connaissances en linguistique. Ces critiques que je formule en direction de la lettre de M. Tounkara, n’enlèvent en rien la pertinence de son propos et l’urgence des responsables de ce Parti à se mettre en conformité avec les exigences de transcription de nos langues.

laminaysafall@gmail.com

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