Lettre N° 1 à M. Guirassy, Ministre de l’Education du Sénégal (LAF)

(Enjeux de l’éducation sénégalaise: Abris Provisoires et Grossesses Élèves-Mères au Centre des Préoccupations)

Monsieur le ministre,

Je viens par la présente vous adresser tout d’abord mes vives félicitations suite à votre nomination à la tête du département de l’éducation de notre pays. Mais aussi faire avec vous ce que j’avais fait avec vos deux derniers prédécesseurs. C’est-à-dire, vous faire part de certains de mes questionnements. Même si je n’attends aucun retour de votre part, une simple réflexion sur les idées que je compte agiter dans ce qui suit, me suffira. En tant professionnel du secteur de l’éducation, fort de deux décennies d’expériences pédagogiques durant lesquelles j’ai débattu, échangé et  confronté mes pratiques pédagogiques à celles de mes pairs, j’ai fait le pari de m’acquitter de ma  dette vis-à-vis du Sénégal en empruntant cette posture d’initiateur et non d’imitateur.

Monsieur le ministre, nous sortons d’une élection présidentielle inédite où l’espoir d’un renversement de paradigme a réellement pris le dessus sur une vieille garde peu soucieuse et ignorante des vrais enjeux éducatifs de notre pays. Les Sénégalais vous demandent à audible voix de contribuer grandement à repenser le modèle d’éducatif pour enfin générer une école soucieuse de la réussite des élèves, inventive, capable de transmettre non seulement les connaissances scolaires, mais aussi la culture et les valeurs cardinales de « jom », « kersa » et « ngor » qui cristallisent toutes les vertus de notre peuple, d’est en ouest, du nord au sud.

Ainsi donc, je souhaiterais attirer votre attention sur les points suivants de notre modèle éducatif qui part en vrille depuis plus d’une vingtaine d’années, sans que personne ne semble s’en émouvoir de façon lucide et désintéressée.

Pour cette fois-ci, je ne vous parlerai que des abris provisoires et des élèves-mères du système éducatif que vous allez leader.

Monsieur le ministre, je vous ai suivi depuis un bon moment. Vous avez décidé depuis fort longtemps de préférer le travail à l’oisiveté, l’action à l’inertie, l’innovation à la résignation. Votre expérience individuelle, l’Institut Africain de Management qui est en mouvement permanent, en est la preuve vivante. Vous en avez l’étoffe et le cœur, vous y arriverez certainement avec la participation de tous.

En ce moment l’école sénégalaise se trouve dans une situation singulière où plusieurs centaines d’écoles se retrouvent en danger de disparition du fait de l’installation progressive de l’hivernage. Ainsi, des classes colmatées en abris provisoires risquent fort de disparaître de la carte scolaire sous l’assaut répété de la mousson africaine et de ses précipitations abondantes, atteignant les 1500 millimètres. Paradoxalement, ce sont les régions les plus pluvieuses du pays qui comptent le plus grand nombre de classes sous forme d’abris provisoires comme le montrent ces chiffres, certes non actualisés : Sédhiou (21,8% des classes), Kolda (16,3%), Ziguinchor (12,6%), et Kédougou (10,5%)). C’est sous une telle menace destructrice que la rentrée 2025 sera organisée si vous ne réagissez pas vigoureusement.

En réalité, l’usage des abris provisoires était à l’origine une option pour résoudre la lancinante question du déficit de classes, donc une solution. Mais aujourd’hui, au regard de la nécessité d’une égalité des chances dans nos établissements, il urge de consentir à de lourds investissements pour corriger ce phénomène qui est devenu incontestablement un sérieux problème.

Monsieur le ministre, cela traduit un gros malentendu, perceptible entre les moyens financiers déclarés injectés dans le secteur éducatif en 2019 (soit 476.940.066.492 FCFA) et le manque noté dans presque tous les domaines, de la maternelle à l’université. Sinon, existerait-il encore des écoles constituées entièrement d’ « abris provisoires permanents » ? Et pourtant, nous notons toujours une résistance de plus de 6500 classes sous forme d’abris provisoires (dont 3979 à l’Elémentaire public). Sans entrer dans les détails de la gestion de l’hygiène de nos enfants, à l’heure où nos écoles s’apprêtent à fermer leurs portes, nous ne pouvons manquer de souligner avec une profonde indignation, l’existence de plus 1922 écoles élémentaires n’ayant pas de latrines (cabines de toilettes). Depuis le temps où  parents et syndicats d’enseignants se plaignent de ce manque, peu d’efforts ont été faits, alors que tous vos prédécesseurs savaient qu’il suffisait juste près de 73 milliards de FCFA en 2023 pour relooker ce visage hideux de l’école sénégalaise. Ou, peut-être que cette question n’a-t-elle jamais été une priorité ?

Monsieur le ministre, le second point que j’aimerais aborder concerne les grossesses à l’école, ce que j’ai déjà qualifié d’une bérézina des élèves-mères.

Nous avons acquis à l’école primaire une règle grammaticale que la réalité scolaire est en train d’infirmer de jour en jour. S’il est vrai qu’en grammaire française, le masculin l’emporte toujours sur le féminin, une autre réalité est en train de se dessiner sur la base des performances individuelles dans nos établissements. La discrimination positive au profit des filles prônée depuis quelques années commence vraisemblablement à renverser la vapeur. Quelques fois, les filles réussissent plus et mieux que les garçons. Toutefois, cette tendance encore timide, pourrait être compromise par le phénomène de la sexualité précoce, qui chaque année dévore la vie de plusieurs dizaines de filles transformées en élève-mère. C’est parce qu’elles constituent pour le moment une exception dans nos écoles élémentaires, que les grossesses d’enfants font très peu parler d’elles. Et pourtant selon l’OMS, chaque année, plus de 777 000 jeunes filles âgées de moins de 15 ans, mettent au monde des enfants, à travers le globe.

Selon l’ONU on parle de grossesse d’enfant lorsqu’une fille âgée entre 12 et 18 ans, a un fœtus qui se développe en elle, suite à une relation sexuelle avec une personne de sexe masculin. Cela commence à devenir sérieux au Sénégal où dans le milieu scolaire, une omerta presque maladive enveloppe ce phénomène et le rend plus difficile à combattre. Se manifestant comme une déchéance de la vie de l’adolescente, cet accident de comportement se vit telle une entrée par effraction dans le monde des adultes. La jeune fille propulsée mère est du coup considérée comme une personne responsable à part entière. Souvent renvoyée de la maison et projetée hors du cocon familial, elle est confrontée prématurément aux dures réalités existentielles des élèves-mères. A l’école, à la pause de mi-journée, alors que ces camarades de classes se regroupent à la cantine ou à l’ombre d’un arbre pour manger et discuter en attendant la reprise, la fille en état de grossesse croule sous le poids de l’inquiétude et de la perte d’attention. Le manque de forme sanitaire crée la contreperformance. En classe, elle n’a qu’une présence physique, mais son esprit démobilisé par rapport à la chose scolaire, divague et vagabonde ailleurs. Cet ailleurs, si éloigné de l’école et de ses premières ambitions, s’élargit semaine après semaine, mois après mois, jusqu’au bout de la paresse et du vague à l’âme. A la naissance du bébé, si elle n’est pas décédée des suites d’un accouchement à risques très élevés, ses priorités vont définitivement changer. Ces dernières sont déjà passées de l’école à la survie. Et, par exemple, au lieu de s’affairer avec les autres filles autour du repas de la mi-journée, l’élève-mère n’aura d’autres préoccupations que de regagner le domicile familial (si tant est qu’elle a acquis l’autorisation d’y demeurer) pour faire manger son bébé. La plupart du temps en allaitement alterné, ces bébés sont en proie à  beaucoup de risques sanitaires.

Selon des données fournies par une enquête menée par l’UNFPA (Fonds onusien pour la population) en 2015 dans certaines zones du Sénégal, la région de Sédhiou est la localité où l’on enregistre la plus grande proportion de grossesses précoces (30%), suivie des régions de Ziguinchor (19%) et Kolda (9%). Cette étude de l’UNFPA précise également 31% des grossesses à l’école concernent la classe d’âge située entre 13 ans et 15 ans. Mais, selon quelle logique peut-on être enfant et être mère ?

Monsieur le ministre, je vous parle de choses connues. Mon expérience professionnelle m’a amené à vivre une situation inédite dans laquelle un élève du Cours Moyen 2ème Année (CM2) avait mis en état de grossesse une fille du Cours Elémentaire 2ème Année (CE2). S’il y a des moments où des pratiquants de la langue de Molière en perdent leur latin, celui-là en fut un pour moi. Dans notre pays, nous sommes habitués à ne réfléchir sur les problèmes que lorsqu’ils se posent réellement avec acuité. Mais sur cette question, exception doit être faite. La problématique des élèves-mères est une réalité socioéducative qui doit être enrayée du paysage scolaire. Dès lors, un renforcement de l’éducation à la santé sexuelle, par des professionnels de la santé reproductrice ou procréatrice,  doit être rigoureusement pris en charge par le volet pédagogique. Autant l’éducation religieuse islamique nécessite l’implication d’un arabisant autant l’option de l’éducation sexuelle doit intégrer l’intervention d’une sage-femme dans les enseignements apprentissages. Loin d’une incitation à la débauche ou à la pratique sexuelle, l’éducation à la santé sexuelle aura juste pour objectif  principal de « favoriser le respect de la diversité sexuelle et de renforcer les connaissances des apprenants (des deux sexes) à faire des choix informés et responsables » les uns vis-à-vis des autres.

En définitive, Monsieur le ministre, voilà deux situations sur lesquelles vous serez obligé d’apporter des réponses, au nom de la rupture.

Qu’il vous plaise donc, de commencer à chercher, car je sais que vous pouvez y arriver.

Avec mes respectueux hommages et mes félicitations renouvelées, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma considération la plus distinguée.

Lamine NDIAYE Aysa FALL

Inspecteur de l’Education et de la Formation

Directeur Exécutif Cabinet Sedar International

cabinetsedarinternational@gmail.com

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