Dialogue avec l’œuvre de Dr. Cheikh Tidiane Mbaye : Réflexion sur « Sénégal : le système dans tous ses états »

Dialogue avec l’œuvre du Dr. Cheikh Tidiane Mbaye : Réflexion sur « Sénégal : le système dans tous ses états »

Je souhaite tout d’abord te féliciter chaleureusement pour la publication de ton ouvrage. Comme l’a dit Dr. Cheikh Ahmed Bamba Diagne, écrire un livre sur des sujets aussi complexes et passionnants que la sociologie politique est loin d’être facile, et ton engagement ainsi que ta passion pour cette discipline apparaissent clairement à travers tes mots. Aborder des thématiques aussi complexes et engageantes portant sur la société sénégalaise demande un courage, une audace intellectuelle et une dévotion indéniables, qualités que l’on retrouve aisément dans chacune des pages de ton livre.

Ton analyse est dense et stimulante, offrant des perspectives qui suscitent une réflexion profonde.

A travers les lignes qui vont suivre, je procéderai à des choix de thèmes. Mais, qui dit choix dit élection, et celle-ci mène obligatoirement à une sélection. Je vais donc choisir, au hasard de mes centres d’intérêt du moment, quatre points essentiels que tu as bien voulu développer. Cette pioche devrait me conduire à donner, tour à tour et dans le désordre, un grain de sel sur la « Sociologie des manifestations de Mars 2021 au Sénégal » situé à la page 36 de l’ouvrage ; ensuite à jeter un œil sur « Le Bac au Sénégal est elle une peine perdue ? » développé dans la deuxième partie du livre, précisément à la page 84 , et qui s’affiche comme interrogation-affirmation; puis à plonger dans cette exclamation que je qualifie d’affirmation non assumée, située à la page 60 du livre « Le problème du Sénégal est sociologique ! » ; et in fine, à donner une soft opinion sur «L’avenir du Sénégal face à la crise de l’islam confrérique : Déclin ou déclic de l’histoire ? » que tu as cette fois-ci problématisé à la page 185, afin de le rendre plus digeste.

Toutefois, dans un esprit de dialogue constructif et respectueux, j’aimerais partager quelques observations et questionnements qui m’ont taraudé l’esprit tout au long de ma lecture, portant sur quatre points ayant singulièrement capté mon attention. Mon intention est, bien entendu, de contribuer de manière constructive à l’importante conversation que tu as entreprise avec ce travail remarquable. Je te rappelle d’ailleurs que nous avons déjà commencé cet échange depuis le 19 février 2023 et puisqu’un écueil gros comme un rocher séparait nos vues respectives sur l’avenir des confréries au Sénégal, j’avais alors décidé de rebrousser chemin, face à ce qui me semblait être des agressions à répétition par rapport à mes conviction intimes. Ainsi, préférant suivre à distance l’évolution du futur docteur de l’époque, j’avais opté pour le silence actif.

I. Ma lecture des « manifestations de Mars 2021 au Sénégal » (p. 36):

En mars 2021, la vie politique sénégalaise était marquée par des vagues de protestation et de contestation frisant même la désobéissance civile populaire suite à l’arrestation de monsieur Ousmane SONKO, l’opposant radical au régime de Macky SALL.

Mon analyse sociologique de ces manifestations de Mars 2021 sera axée sur le contexte politique et économique d’alors, ensuite sur l’implication des jeunes, puis en filigrane sur le rôle des réseaux sociaux et les répressions meurtrières.

1. Contexte politique et économique :

En 2005, sous la houlette de Ousmane Sonko et de ses amis, le syndicat des agents des Impôts et Domaines est créé, dans une administration où la liberté d’expression n’était pas autorisée. Surtout lorsque le big boss de la Direction Générale des Impôts et des Domaines (DGID) s’appelait Amadou BA, un ambitieux, allié du Président Macky Sall, il fallait batailler ferme pour que la reconnaissance juridique de son syndicat soit actée.

De cette âpre lutte syndicale sans quartier naquit une autre vocation, une sorte de redimensionnement des ambitions. Ousmane Sonko comprend désormais beaucoup de choses, il a mûrit et veut encore plus d’engagement. A côté de « sa bande de copains », il pense avoir suffisamment réfléchi sur les contours et l’encadrement à donner à leur engagement. Et contre toute attente, Sonko quitta la tête du syndicat pour se lancer en politique.

Et en 2014, Ousmane Sonko créa, avec ses amis de toujours, le parti Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (PASTEF). Ne pouvant plus être contenu par les tenants du régime de Macky Sall, il a été révoqué de l’administration sénégalaise, par décret présidentiel numéro 22016-1239 pris le 26 août 2016 « pour manquement à l’obligation de discrétion professionnelle ». Mais cette radiation était vite devenue une aubaine pour le leader de PASTEF. Il sera élu député l’année suivante député à l’Assemblée nationale pour un mandat de 5 ans. La fin de ce mandat coïncide avec son élection à la tête du conseil municipal de Ziguinchor pour 5 ans (2022 – 2027).

2021, le leader de PASTEF fut accusé de viol et arrêté par la justice. Il fut déclaré coupable de débauche de mineure et écroué pour 2 ans de prison sans sursis le 1er juin. Il nia les faits en dénonçant un complot pour l’écarter de l’élection. Et refusant de se présenter à un « procès tiak-tiak », il fut condamné par contumace sous plusieurs chefs d’inculpation, tels que l’appel à l’insurrection, l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste et l’atteinte à la sûreté de l’État. Cet emprisonnement a été perçu par beaucoup de ses partisans comme une tentative de liquidation politique destinée à l’empêcher de se présenter aux élections présidentielles.

Cet épisode aura occasionné selon certaines sources plus d’une soixantaine de morts.

L’implication de la jeunesse :

Cependant, le rôle de la jeunesse a été prépondérant contre cette tentative de mise à mort du leader incontestable de l’opposition. Comme nous le savons de science certaine, les jeunes sont majoritaires au Sénégal puisque une grande partie de la population a moins de 25 ans. Le chômage à son point le plus élevé corrélé à l’absence de perspectives d’emplois est devenue le terreau fécondant d’une forte armée de jeunes politiquement taillables et corvéables à souhait, et qui étaient exclusivement favorables aux mots d’ordre de Sonko. Ces jeunes pour qui nul autre leader n’existait à part Ousmane Sonko ont investi toutes les plateformes en activité au Sénégal pour organiser les manifestations et amplifier les actions de groupe en leur faveur par le biais d’une rocambolesque manipulation de l’information. Nous sommes presque à l’âge d’or des Fake news et de l’infox contre le gouvernement d’Amadou Ba. Ils étaient partout animés de la même combativité sur WhatsApp, Twitter, Instagram, Facebook et TikTok.

Les rues des principales villes respiraient la violence à chaque fois qu’un mots d’ordre de Sonko tombait. Le couple violence/ répression s’invitait partout. Toutes les manifestations préalablement déclarées pacifiques finissaient en affrontements violents, sans aucun quartier pour les Forces de Défense et de Sécurité (FDS). Tout ce qui représentait l’Etat était vomi par les pro-Sonko. A son tour, l’Etat tentait de répondre à chaque fois de manière forte par des mesures drastiques : arrestations massives et restrictions d’internet étaient régulièrement au menu.

Des groupes aussi divers qu’organisés venant de tous les quartiers, composés quelques fois de citoyens ordinaires et animés par les jeunes des partis politiques de l’opposition et même des mouvements de la société civile. La solidarité entre ces différents groupes était manifeste, presque sacrée. Tous étaient là pour manifester leur désaccord par rapport aux choix politiques du gouvernement et à l’agenda caché du Président Macky Sall. Tous étaient mus par le même désir de changement, renforçant ainsi un sentiment de solidarité et de communauté.

Les conséquences de cette situation ont conduiront à des réformes et des dialogues nationaux, à une polarisation de la vie et à l’implication de la communauté internationale. C’est ainsi que sous une très forte pression, le régime de Macky Sall a su jouer la carte de l’ouverture en invitant au dialogue tout en proposant des réformes. Hélas ! il était trop tard. Une crise rampante s’était définitivement emparée de notre pays. Et le syndicaliste devenu homme politique a saisi la balle au rebond. La délégitimation du pouvoir de Macky Sall occasionnant une instabilité politique due à une méfiance/défiance généralisée va rythmer le quotidien des sénégalais. L’autorité de l’Etat s’est lourdement érodée depuis la visite de l’établissement d’entretien corporel dénommé « Sweet Beauté ». les manifestations, les grèves, et même les émeutes ont fini d’exacerber l’instabilité sociale.

Ainsi, bon nombre de sénégalais étaient sceptiques par rapport à la sincérité gouvernementale.

Le pays se trouvait alors partagé entre le politique et le social, et le paysage politique était marqué par une fracture nette entre les partisans de Sonko et ceux du gouvernement. Et nous autres (Exemple: Coalition DIONNE 2024) qui n’étions d’aucun de ces deux camps peinions à avoir une existence politique. Quant à la communauté internationale, elle a tenu à exprimer son attachement à l’expression du jeu démocratique, unique levier de résolution pacifique des tensions, tout en invitant les différentes parties au respect des droits humains.

Cette méfiance/défiance généralisée aura facilité la propagation de la désinformation avec des citoyens devenus très perméables aux informations erronées et exposés à des théories du complot.

Retenons :

In fine, il s’est avéré que les manifestations de mars 2021 au Sénégal, aussi qualifiées de « émeutes de la faim » par une certaine presse ont été un événement majeur qui a révélé des écarts nets et des tensions profondes au sein de notre société. Elles ont surtout mis sous les projecteurs toute la détermination et la puissance destructrice de notre jeunesse souvent qualifiée de flemmarde par certains adultes, ainsi que le rôle majeur des réseaux sociaux dans la conquête du pouvoir.

II. Le Bac au Sénégal est-il une peine perdue ? … (p.84)

Au Sénégal comme dans de nombreux autres pays, le Baccalauréat (ou « Bac ») est un examen crucial qui marque la fin de l’enseignement secondaire et ouvre la voie à l’enseignement supérieur ou à l’entrée dans le monde du travail via la formation professionnelle. Toutefois, plusieurs défis et critiques entourent ce système. Ainsi, à y voir de plus près, les avis peuvent être partagés entre l’inutilité et l’opportunité du Bac.

Arguments pour lesquels le Bac peut sembler une « peine perdue » :

1. La faiblesse des taux de réussite au Bac, due à la difficulté que les potaches éprouvent de plus en plus face aux épreuves d’examen est notoire. Cela risque de ne pas changer de si tôt, car cet examen a ses propres exigences; et les disparités par rapport à la qualité des enseignements-apprentissages et des ressources entre les écoles de campagnes et celles des villes, entre l’enseignement privé et le public, entre les lycées dits d’excellence et les autres peuvent affecter la préparation des élèves.

2. Un autre facteur décourageant est lié au curriculum. Le programme scolaire dans nos lycées est trop théorique et peu adapté aux réalités du marché du travail. Les connaissances académiques sont le plus souvent favorisées au détriment des réelles compétences professionnelles. Pour la plupart, nos élèves quittent le Lycée sans même savoir remplacer un robinet, ou changer une ampoule.

3. Le chômage constitue aussi un motif de découragement et de renoncement à des études supérieures. Malgré l’obtention du Bac, beaucoup de jeunes diplômés peinent à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications. Ils sont à 27,5% affectés par le chômage tandis que les non diplômés ne représentent que 23,5 % selon l’ANSD.

4. La pression sociale et familiale adossée à la surpopulation des effectifs estudiantins sont autant de facteurs conduisant à un échec certain, souvent perçu comme un échec personnel majeur, affectant la confiance en soi et les perspectives d’avenir.

Tout ce qui précède peut amener à penser que de nos jours, le Bac est devenu inutile.

Cependant, d’autres arguments militent en faveur d’un engouement certain pour la conquête de ce précieux sésame qui ouvre les portes de l’enseignement supérieur.

Quelques arguments en faveur du Bac :

1. Nous l’avons dit plus haut, le Bac est une condition nécessaire pour entrer à l’université et poursuivre des études supérieures, avec plusieurs filières pour la spécialisation dans des domaines très diversifiés.

2. L’obtention du Bac est souvent synonyme de reconnaissance académique d’un certain niveau de connaissance. Le Bac en poche peut aussi permettre de se présenter à certains concours d’Etat et à certaines professions.

Retenons :

Le Bac au Sénégal présente des défis et des critiques légitimes, notamment en ce qui concerne son adéquation avec le marché du travail et les taux de réussite. Cependant, il reste une étape importante dans le parcours éducatif des jeunes et un tremplin vers l’enseignement supérieur et les opportunités professionnelles. La question de savoir si le Bac est une « peine perdue » dépend en grande partie des réformes éducatives à venir, de l’amélioration des conditions d’enseignement et de la création de meilleures opportunités pour les diplômés. Et c’est sur ces réformes qu’est attendu le régime sénégalais issu de l’alternance politique du 25 mars 2024.

III. « Le problème du Sénégal est  sociologique ! » (P.60):

Dr. Cheikh Tidiane Mbaye, vous comprendrez qu’à travers ce point que vous développez dans la partie intitulée « les crises au Sénégal » (p.45), vous êtes directement et exclusivement interpellé, compte tenu de votre relation presque intime avec cette discipline, et eu égard à votre devoir de « respect à l’éthique de la discipline sociologique » (je vous cite). Je puis vous assurer de la compréhension de nos lecteurs.

J’estime que ce titre relève, comme je l’ai qualifié dans mon introduction, d’une affirmation non assumée, car indubitablement vous auriez pu terminer cette phrase par un simple point ou un point d’interrogation. Par « affirmation non assumée », j’entends, un énoncé dont la quintessence n’est pas explicitement accepté ou reconnu. L’exclamation sert à exprimer une forte émotion ou un sentiment intense. Or, il se trouve que vous êtes sociologue et parlez d’un sujet relevant de votre discipline. Dès lors, vous devez en assumer la pleine responsabilité. Mais, lorsque vous ponctuez un titre par une exclamation avec son supplément émotionnel, vous ne prenez pas vraiment la responsabilité de la charge de votre assertion. Je peux bien vous comprendre, car souvent certains intellectuels usent de cette stratégie à travers des propos sans endorsement, ou par le biais de sous-entendus ou encore par l’usage du conditionnel. Peut-être que c’est parce qu’au fond de vous, vous savez que notre pays est confronté à bien plus qu’un problème sociologique ou de sociologie.
Je dis d’emblée que le Sénégal n’a pas UN problème. Notre pays est confronté à une foultitude de problèmes auxquels nous sommes, ensemble, obligés de chercher et de trouver des réponses.
Les problèmes du Sénégal sont multifactoriels et ne peuvent être réduits à leur seule dimension sociologique. Ils englobent des aspects politiques, économiques, environnementaux, éducatifs, et de gouvernance.

Dans ce qui suit, je vous livre mon analyse des principaux défis auxquels le Sénégal est confronté, couvrant plusieurs dimensions :

Sur le plan de l’éducation, la formation professionnelle, mais aussi l’accès et la qualité sont des difficultés réelles. Le système éducatif ne présente pas de cohérence véritable entre sa propre offre et la demande globale alignée sur les besoins du marché du travail. Et n’étant pas défini en rapport avec ce dernier, on note l’absence de filières techniques et professionnelles pertinentes (axées sur les chaînes de valeur pétrolières et gazières, par exemple), surtout avec la non prise en compte des nouvelles technologies par le système. Par rapport au niveau de pénétration et la qualité des enseignements-apprentissages, même si nous notons une hausse sensible du taux de scolarisation, la qualité de l’éducation reste un grand défi. Les infrastructures scolaires demeurent insuffisantes, comme en atteste l’entêtement des abris provisoires, et la formation des enseignants laisse souvent à désirer.

Le deuxième problème majeur est le système de santé. Les structures de santé sont inégalement réparties dans le territoire national. Dakar est la ville qui concentre plus du tiers des professionnels de santé (36% en 2022 selon l’ANSD), contre 11% pour Thiès (notre ville). Les infrastructures sanitaires sont insuffisantes en zone rurale, ce qui complique davantage l’accès aux soins de qualité. Par ailleurs, il faut rappeler que notre système de santé n’a pu endiguer totalement les maladies endémiques comme la malaria, la fièvre Dengue, la Chikungunya, la diarrhée du voyageur, la fièvre jaune, le SIDA, les hépatites B et C, la Bilharziose, la tuberculose ou la Méningite. Qui plus est, le Sénégal lutte encore contre des pandémies comme la COVID-19.
A ce deuxième problème majeur, viennent se greffer les inégalités économiques avec des disparités exagérées entre les villes et les campagnes, et l’essentiel des ressources se trouvent logées à Dakar. Le taux de chômage et le sous-emploi, en particulier chez les jeunes, sont très élevés. Beaucoup de diplômés peinent à trouver un emploi correspondant à leurs qualifications. Rappelons-le, l’économie sénégalaise reste largement tributaire de l’aide extérieure, des fluctuations des marchés mondiaux, du secteur primaire et des conditions climatiques.
Les problèmes environnementaux persistent en s’empirant avec le changement climatique. L’agriculture, l’une des principales ressources, est menacée par la désertification, l’érosion côtière et les variations climatiques. La déforestation et la dégradation des terres dues à une surexploitation des ressources naturelles mènent à la perte de biodiversité.

Sur le plan politique, les problèmes liés aux tensions autour des élections, de la succession et de la transmission du pouvoir menacent la stabilité politique et la cohésion nationale dont le Sénégal est crédité. La corruption d’agents de l’administration ou des personnels de secteurs clés constitue un sérieux revers qui gangrène la relation entre les citoyens et leurs institutions, et sape la croissance économique.

Les soucis sécuritaires liés au phénomène du djihadisme menant à l’instabilité sous-régionale sont mis en avant par la position du Sénégal dans une partie de l’Afrique où la sécurité est particulièrement fragile. Du coup, la sécurisation de nos frontières est devenue une priorité.

La criminalité galopante surtout à Dakar et dans les grandes villes constitue le plus grand facteur de rupture du vivre ensemble et du sentiment de sécurité du citoyen.

A propos du lot des problèmes inhérents au Sénégal, je voudrais m’arrêter sur la mise en lumière de deux problèmes sociologiques : les inégalités liées au genre et la migration.

D’abord, il existe beaucoup d’inégalités de genre. Les femmes et les filles sont ségréguées et font face à des discriminations et à des inégalités en matière d’accès à l’éducation, à l’emploi, et aux droits fonciers. Nous pouvons relever certains obstacles comme :

  • La surévaluation psychologique et la surestimation du statut social du garçon ;
  • La priorisation du mariage des filles qui demeure un gros frein. Très tôt, la fille est préparée à devenir une femme destinée au mariage. Dès lors, tous les objectifs des parents tendent à tracer pour leur fille la voie royale de la « mariabilité » ;
  • Les grossesses accidentelles qui se situent à mi-chemin entre les facteurs socio-culturels et les facteurs économiques ;
  • La religion et les us et coutumes semblent favoriser visiblement le garçon au détriment de la fille ;
  • L’absence de promotion du modèle féminin valorisé et valorisant en milieu rural.

Sur les flux migratoires, le départ massif des jeunes sénégalais vers les pays de la sous-région, d’Amérique latine ou d’Europe provoque la fuite des cerveaux et la perte des bras valides pour le développement de notre pays. L’une des principales causes de ces mouvements de migration restent le sous-emploi, le chômage et la précarité dans le pays. Ainsi donc, la migration, tant interne que vers l’étranger, pose des défis sociaux, avec des impacts sur les familles et les communautés locales. Ce problème appelé aussi émigration clandestine continue de paraître comme une solution pour des milliers de jeunes. Au moment où j’écris ces lignes, près de 90 migrants (parmi lesquels cinq femmes et un mineur) sans doute en route vers les Canaris, ont péri au large de la Mauritanie lorsque leur embarcation a chaviré. Aussi, beaucoup d’observateurs en attribuaient-ils la cause aux mauvais choix politiques de Macky Sall, mais aujourd’hui force est de reconnaître qu’ils se sont lourdement trompés.

Notons simplement que pour le Sénégal, il se pose toujours un sérieux problème de confiance citoyenne. La crise de confiance généralisée dont la responsabilité était entièrement imputée à l’ancien président de la République continue encore de faire des vagues et les conséquences sont multiples. Je dois juste ajouter, et vous le savez mieux que moi, que la crise migratoire n’est pas sortie ex nihilo, elle n’est que la dernière phase d’un processus à trois étapes:

1. Délégitimation du pouvoir politique;

2. Affaiblissement de la participation civique et effondrement des contributions citoyennes,

3. Fuite des talents ou simplement de la force de travail, c’est-à-dire émigration qu’elle soit régulière ou clandestine.

Dès lors, le renversement de processus est nécessaire. Le régime actuel exerçant un pouvoir légitime doit d’abord œuvrer à la relance et au renforcement de la contribution citoyenne, et à réconcilier le citoyen avec ses gouvernants.


Retenons :

Je suis donc d’avis que le problème du Sénégal n’est pas que sociologique, puisqu’il y en a plusieurs. Indubitablement, ils sont pluriels, complexes et interdépendants, nécessitant une approche holistique pour les aborder. Des solutions durables devront inclure des réformes politiques et de gouvernance, des initiatives économiques innovantes, des améliorations dans l’éducation et la santé, ainsi que des actions environnementales adaptées. L’engagement des citoyens, des gouvernements, des organisations non gouvernementales et des partenaires internationaux sera crucial pour relever ces défis.

IV. L’avenir du Sénégal face à la crise de l’islam confrérique : Déclin ou déclic de l’histoire ? (P.185)

Je voudrais commencer l’analyse de ce point important en soulignant au rouge la conclusion de l’avis que je t’avais envoyé il y a plus d’un an. Je cite : « Je suis bluffé lorsque vous écrivez que « la société maraboutique va bientôt disparaître à l’image d’un phénomène de mode », « Serigne day xewwi » : alors là…! N’êtes-vous pas en train de déformer le propos du Saint homme en l’extrayant malencontreusement de son contexte, car, la force d’une confrérie réside justement dans sa capacité à ne pas être un effet de mode, à l’instar de la démocratie ou de la mondialisation. Sur ce point, je vous renvoie à la déclaration de Serigne Moustapha Saliou MBACKE au sommet de l’habita à Istanbul en 1995. Il martelait devant la presse occidentale que le mouridisme ne se fondait pas sur des bases conjoncturelles ou événementielles (« murid yi tënkuwu nu ci ay baat yuy xewwi »). Dès lors, si les « vertus humaines se détériorent au fil des générations », cela veut-il dire que les confréries sont en déclin ou en perte de vitesse ?

Prévoir ou prédire la fin des confréries ne revient-il pas à supposer la possibilité d’une fin de l’islam ?

Cher neveu, à la lumière de la lecture de cette page, j’estime qu’il y a plus de « pourquoi » que de « parce que », et c’est la raison pour laquelle j’attendrais les réponses aux différentes questions soulevées pour pouvoir me faire une idée plus précise sur vos motivations profondes. »

La question de l’avenir du Sénégal face à la crise de l’islam confrérique (ou des « confréries islamiques ») est complexe et multidimensionnelle. Les confréries islamiques jouent un rôle central dans la vie religieuse, sociale et politique du Sénégal.

Analysons cette question sous plusieurs angles pour déterminer si le pays fait face à un déclin ou un déclic historique.

Contexte des Confréries Islamiques au Sénégal

Les principales confréries islamiques au Sénégal incluent les Mourides, les Tidjanes, les Layènes et les Khadres. Elles exercent une influence considérable sur la population et ont souvent joué un rôle stabilisateur dans la société sénégalaise. D’ailleurs, lorsque tout semble grippé et proche de la cassure, indiscutablement tous les regards se tournent vers les guides religieux, et les agitateurs de services au sein des familles religieuses se taisent. Cela s’est fait ressentir au plus profond de la crise socio-politique entre 2020 et 2024. Durant ces moments-là, le plus dubitatif de nos concitoyens reconnait la puissance de la « diplomatie maraboutique » sénégalaise.

Crise et Défis Actuels

1. D’abord, nous remarquons que les confréries sont frappées de plein fouet par les problèmes sociaux et économiques. Le chômage et la pauvreté persistants anéantissent la capacité des groupes confrériques à mettre à la disposition des talibés le soutien matériel et moral attendu. Quand à l’éducation des masses, les confréries n’ont aucun contrôle sur le système national d’éducation. Ces dernières sont obligées de s’adapter afin de pouvoir jouer positivement le rôle qui est le sien. Il est d’ailleurs temps que le système éducatif sénégalais puisse intégrer l’éducation religieuse à travers la prise en compte correcte et sincère des daara. Mais, quid du catéchisme ?

2. Ensuite, dans un contexte mondialisé, les jeunes sénégalais de mieux en mieux assimilés, éduqués et ouverts aux vents du monde et aux influences de la mondialisation, deviennent de plus en plus déconnectés des valeurs culturelles, cultuelles et traditionnelles de nos confréries. Pour autant, cela n’est pas une raison suffisante pour décréter la « fin des confréries ». Est-il besoin de réformer en profondeur certains aspects liés au fonctionnement des confréries pour mieux s’adapter aux réalités contemporaines et s’aligner au contexte mondial ? Je ne le pense pas, car les confréries ont pour unique soubassement les préceptes de l’Islam et de la charia et celles-ci sont inchangeables, statiques et universelles avec un caractère éviternel.

3. En fin, je reconnais bien que les relations entre la politique et les confréries n’échappent pas à la crise. Toutefois, il est à noter que la politisation des confréries se limite à une volonté d’implication ou d’engagement politique de certains membres des communautés. Un leader incontestable d’une confrérie, sans en être véritablement le principal référent, peut avoir une coloration politique ou s’affilier à une formation politique dans le but légitime de faire profiter à sa communauté, les dividendes issus de son engagement. Les exemples de Serigne Modou Kara chez les mourides ou Serigne Moustapha Sy chez les tidianes sont assez éloquents. Mais, souvent cet engagement est un facteur de divisions et de tensions au sein des familles maraboutiques.

Dès lors; une certaine instrumentalisation des confréries peut se dessiner dans certains cas. Voulant absolument se maintenir au pouvoir, les hommes politiques se servent parfois des confréries pour légitimer leur choix. Dans beaucoup de cas, les groupes confrériques sont considérés comme des « appareils idéologiques d’Etat » (AIE) à l’instar des médias d’Etat. Les politiques tentent de les soumettre pour les mettre exclusivement à leur service. Cette démarche, si elle n’est pas comprise par les marabouts-héritiers communément appelés Khalifs généraux, peut être de nature à compromettre la mission spirituelle des confréries qui resteront redevables aux hommes politiques.

Potentiels pour un Déclic Historique

1. Au Sénégal, l’engagement civique des confréries est indéniable. Les têtes de files des confréries sont de véritables médiateurs dans les conflits sociaux et politiques, des régulateurs garants de stabilité et de cohésion nationale. C’est la raison pour laquelle, celles-ci doivent être renforcées et non affaiblies.

Elles aident à améliorer le vivre ensemble dans leurs communautés à travers des actions de développement local dont elles sont le plus souvent initiatrices.

2. Dans le souci de rester collé au temps et à leur époque, des réformes internes peuvent intervenir dans le mode d’organisation et de fonctionnement des entités (dahira, daara; …) , mais ces dernières ne visent jamais les bases fondatrices des confréries. Les pratiques au sein d’une confrérie sont presque immuables quant à leurs valeurs fondamentales, et sont souvent l’œuvre du fondateur de la voie dont elles constituent la substance patrimoniale de transmission à travers les générations.

La contribution en termes d’offre éducative des confréries est immense compte tenu des valeurs de tolérance, de paix et de progrès dont elles sont porteuses.

3. Certaines confréries à l’instar du mouridisme prônent la révolution culturelle et spirituelle, avec une promesse de transformer non pas seulement notre pays, mais l’Afrique et le monde sur la base d’une offre morale et éthique totalement renouvelée. La révolution culturelle, par exemple sous l’égide de Serigne Abdoul Ahad MBACKE, fit le pari d’une revalorisation du patrimoine culturel et spirituel hérité de son vénéré guide Cheikh Ahmadou Bamba. Cela constitue pour tout mouride un renforcement de la fierté communautaire et de l’identité nationale. Le boubou « Baay-Lahad » ainsi que les accessoires qui l’accompagnent sont apparus dans ce contexte. Résultats des courses, de Katakalousse à la Papouasie-Nouvelle-Guinée en passant par Vanuatu, lorsque vous apercevez un individu vêtu de Baay-Lahad, vous pouvez jurer qu’il est sénégalais et mouride, sans gros risque de vous tromper.

Retenons :

Personnellement, je ne saurais parler de crise des confréries dans le contexte sénégalais, pour diverses raisons : d’abord la succession se passe généralement sans heurt (chez les mourides par exemple), ce qui exclut les luttes de pouvoir ou succession au sein des familles ; ensuite les confréries continuent de garder une forte capacité d’influence dans leurs rapports avec les pouvoirs politiques ; en fin, elles arrivent à promouvoir une éducation moderne et adaptée tout en conservant la qualité d’un enseignement religieux authentique au sein  des daaras. Compte tenu de tous ces éléments, je ne saurais considérer certaines activités d’individus isolés comme relevant d’une crise interne, cette dernière étant par ailleurs une situation imprévue et intenable susceptible de menacer la stabilité.

Toutefois, si par solidarité ou bienveillance intellectuelle à votre égard, nous acceptions que notre pays vivait une crise de l’islam confrérique, nous serions obligés d’interroger la capacité des confréries à s’adapter et à évoluer. Parce que si aujourd’hui, elles réussissent à entreprendre des réformes internes, à jouer un rôle positif dans la société et à se concentrer sur leur mission spirituelle, c’est parce qu’elles peuvent devenir un moteur de progrès et de stabilité. Dans ce cas, cela signifierait que le Sénégal aurait déjà connu le déclic historique nécessaire, capable de transformer les défis actuels en opportunités de renouveau et de développement. Cependant, si des divisions et des tensions propres persistaient sans réponse adéquate, le risque de déclin resterait présent.

Conclusion:

Quelques remarques et questions :

A la page 36, tu tires de ta besace une expression très usitée à l’époque « l’affaire Ousmane SONKO-Adji SARR » sans aucune explication ni même une allusion y relative dans les lignes précédentes. Je trouve que le follower qui n’avait pas vécu cette histoire entre l’opposant et la masseuse aura du mal à saisir la portée de cette intrusion.

Il en va de même avec l’expression « les émeutes de la faim » apparaissant comme un cheveu dans la soupe. L’usage de cette expression née de la créativité et du talent de certaines gens de presse devait être l’aboutissement, la conclusion d’un petit détour explicatif.

Dans la dernière partie du livre, lorsque vous écrivez, je cite : « la primauté de l’islam confrérique est tellement ancrée que le Sénégalais s’identifie plus par son appartenance confrérique que par son appartenance nationale ou même musulmane » (fin de citation!), est-ce un postulat de travail ou une déduction ? Je ne peux pas croire que c’est un constat, car ce serait en même temps affirmer que les sénégalais ont tous une attache confrérique y compris les chrétiens. Ce qui est une aberration, car je suis certain que vous parler plutôt du musulman sénégalais. Je pense fondamentalement que le sénégalais s’identifie d’abord et avant tout à son appartenance à une nation unie et indivisible. « Senegaal benn bopp la, kenn mënu ko xar ñaar ! » a-t-on coutume d’entendre. Dès lors, votre affirmation sur l’ancrage de la primauté des confréries dans l’imaginaire des sénégalais est une insulte au patriotisme et à la citoyenneté de nos compatriotes.

Par ailleurs, au moment de la rédaction de l’ouvrage et dans cette toute dernière partie, vous effleurez aussi l’idée d’une «  rupture du contrat social sénégalais en vue… ». Aujourd’hui après quelques mois de changement de pouvoir, pensez-vous là même chose ? Cette idée de « rupture du contrat social » a-t-elle évoluée entre temps ? Est-elle toujours en perspective ?

Mais en plus, comment expliquer que vous parliez de « la rupture du contrat social en vue » (donc à venir) et trois paragraphes plus loin, vous dites que le contrat social a été déjà rompu (cf. « La société a su aussi garder un minimum de stabilité, malgré la rupture du contrat social… ») ?

Dans un autre champ, le fétichisme que vous semblez associer à la conduite d’un certain Kounkandé est inexistant dans les pratiques de ce dernier. Au delà du caractère polysémique et ambigu de la notion de « fétichisme », j’estime que ce monsieur, que j’ai connu personnellement pour avoir bénéficier de ses services de garde-rapprochée lors de manifestations politiques à Dakar, était plus dans l’escroquerie cultuelle et l’arnaque. C’est quelqu’un qui est adepte de l’usurpation et la tromperie. Or, qui dit fétichisme, dit également adoration d’objets naturels ou façonnés. Kounkandé n’émargeait pas dans ce registre.

Pour terminer, je voudrais te féliciter encore pour ce magnifique ouvrage. Ton écriture est à la fois audacieuse, captivante et inspirante. Continue de cultiver ce talent incroyable, remarquable et à partager tes œuvres avec les autres.

Et enfin, j’attire l’attention de mes lecteurs sur le caractère exprès et volontaire de mes va-et-vient, tout au long de mon analyse, entre le tutoiement affectif dû à mon rang et le respectueux vouement que je dois au docteur en sociologie que mon neveu est devenu.

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Lamine Aysa Fall NDIAYE

Consultant en Education/ Formation

Directeur Exécutif du Cabinet Sédar International

cabinetsedarinternational@gmail.com

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