Le jour où j’ai refusé de corroborer les déclarations du Directeur général du Budget devant la Cour des Comptes…(par Samba Nd Diallo)

A propos de l’auteur:

Samba Nd. Diallo est analyste financier, titulaire du Diplôme d’Ecole Supérieure de Commerce Administration Financière (DESCAF). Il est aussi titulaire d’un Master II en Gestion et Finances publiques. Samba Diallo a été élevé au rang de Chevalier de l’Ordre du Mérite de la République du Sénégal.

J’ai dit non au DG du Budget devant la Cour des Comptes !

Je viens d’achever de lire le Rapport de la Cour des Comptes sur la Situation des Finances publiques, Gestions de 2019 au 31 mars 2024. Bis repetita ! j’en avais fait de même avec le Rapport de la même Cour sur les Fonds Covid-19, portant sur la gestion de mille milliards de Francs CFA mobilisés dans le cadre de la riposte contre le Covid-19. Dans ce document, j’avais été cité en page 94 et 95 (Recommandation n°54), du fait de mes anciennes fonctions de Directeur de l’Administration et des Finances du Patrimoine bâti de l’Etat. C’était à ce moment, l’Agence de Gestion du Patrimoine bâti de l’Etat (AGPBE) devenue SOGEPA (Société de Gestion et d’Exploitation du Patrimoine de l’État), dont j’ai d’ailleurs élaboré le premier budget pour la Gestion 2022 avant d’être relevé de mes fonctions.

Le  matin du mardi 21 septembre 2021, je recevais, sur instruction de mon Directeur général absent, deux (02) magistrats de la Cour des Comptes dont je tairai les identités par respect pour leur statut. La Cour nous avait adressé une lettre auparavant, déclinant l’objet de sa mission en laissant le calendrier à notre convenance. La raison de leur visite m’était donc déjà connue et c’est pourquoi, j’avais pris les dispositions idoines pour donner satisfaction à leurs préoccupations au premier rang desquelles, un transfert de 17 370 402 500 FCFA que le Directeur général du Budget (DGB) d’alors, avait déclaré à ladite Cour venue l’auditer, avoir fait à l’Agence de Gestion du Patrimoine bâti de l’Etat, au titre d’appui dans le cadre des Fonds COVID-19.

Après les présentations d’usage, les magistrats m’ont demandé, pendant que je lisais déjà l’incrédulité sur leurs visages que fendait quelque peu un sourire à la fois courtois et narquois, de leur retracer ce transfert dont leur a parlé le DGB. Que venaient donc faire les Fonds Covid-19 sur les compte de l’AGPBE, pouvaient-ils bien se demander ? En vérité, ils n’y ont jamais été, ces fonds ! C’est pourquoi, lorsque les magistrats enquêteurs de la Cour des Comptes m’ont demandé de retracer ce montant évoqué supra sur les comptes de l’AGPBE, j’ai répondu que cela m’était impossible dès lors que toutes les dépenses effectuées par l’agence jusqu’alors, l’ont été exclusivement au moyen du budget de celle-ci, voté, adopté par son Conseil de surveillance et approuvé par le ministre des Finances et du Budget.

J’ai rappelé, nous avons rappelé ensemble, dois-je à la vérité de dire, que l’élaboration du budget 2020 (et des budgets en général), a été effectuée entre Septembre et Octobre 2019 et soumis à l’organe délibérant avant le 31 octobre, en vertu des dispositions de l’article 14 du décret 2014-1472 du 12 novembre 2014 portant régime financier et comptable des établissements publics, des agences et autres structures administratives similaires ou assimilées. Le budget en question, précède donc la crise du Covid-19 dont nous avons connu le premier cas au Sénégal à la date du 2 mars 2020.

Ensuite, après l’adoption du budget par le Conseil de surveillance et son approbation par le ministre chargé des Finances, tout autre fonds de concours ne pourrait être intégré au budget que par modification de celui-ci. Cette modification ou réaménagement peut se faire soit après le vote d’une Loi de Finance rectificative par l’Assemblée nationale, sur laquelle sont inscrites des ressources additionnelles pour l’entité administrative bénéficiaire, soit après la signature d’un décret d’avance par le président de la République, produisant les mêmes effets soit enfin, par un réaménagement budgétaire interne, ne nécessitant que l’avis de l’organe délibérant et matérialisé par un virement de crédits entre postes budgétaires. Ce dernier procédé, dans le cas d’espèce, est autorisé et encadré par les dispositions de l’article 23 du décret 2014-1472 du 12 novembre 2014 portant régime financier et comptable des établissements publics, des agences et autres structures administratives similaires ou assimilées. Et dans tous les cas, une réunion de l’organe délibérant est nécessaire pour acter l’intégration des ressources additionnelles dans le budget en question.

A ce jour, aucune de ces procédures que je viens de décrire n’a été enclenchée pour faire bénéficier à l’ancienne Agence de Gestion du Patrimoine bâti de l’Etat (AGPBE) du concours des fonds de la « Force Covid-19 ». L’ancien directeur général du Budget a donc raconté des calembredaines. Et je l’ai fait comprendre à mes interlocuteurs. Or, lorsqu’un agent de l’Administration se comporte ainsi que je l’ai fait, lorsqu’il refuse de s’adonner aux pratiques prohibées par la réglementation comme par la morale d’ailleurs ( par exemple, « faire les valises » de monsieur le directeur général, c’est-à-dire, lui créer des richesses en demandant des pourcentages (à lui reverser et s’en servir en même temps éventuellement), sur les paiements des fournisseurs et des bailleurs ayant mis en location à l’Etat leurs biens immobiliers, etc.), il finit toujours au « frigo », à moins qu’il soit… obséquieux jusqu’à la moelle. Je reviendrai sur ce terme, « frigo ».

J’ai rappelé, à l’occasion, aux deux magistrats, que les fonds avec lesquels l’agence fonctionnait, provenaient, au regard des dispositions de l’article 18 du décret n°2013-278 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Agence de Gestion du Patrimoine bâti de l’Etat : « 

  • D’une dotation budgétaire annuelle allouée par l’Etat pour son fonctionnement ;
  • Des fonds mis à la disposition par les partenaires au développement en vertu des conventions et accords conclus avec le Gouvernement et destinés aux travaux de restauration et de réhabilitation de bâtiments ;
  • Des rémunérations versées par les bénéficiaires, en contrepartie des services fournis par l’agence ;
  • Des subventions, dons, legs ou libéralités faits conformément à la réglementation en vigueur ;
  • Des produits de placements et intérêts ;
  • Des fonds provenant des loyers ;
  • Des fonds provenant de versements d’indemnités de logement des attributaires ;
  • Une quote-part des produits issus de l’aliénation du patrimoine immobilier.

Les ressources mises à la disposition de l’AGPBE sont des fonds publics. »

Ensuite, j’ai rappelé aux deux magistrats, ce qu’ils savaient déjà avec certitude ; l’un d’entre eux étant un ancien inspecteur du Trésor, que ce dernier est une banque. A ce titre, il est remis à toute entité réceptrice de fonds provenant du Trésor public, un document appelé Avis de crédit sur lequel, on peut lire principalement :

  • Le numéro et l’intitulé du compte débité pour le crédit et l’intitulé du compte de l’entité en objet : c’est-à-dire, l’origine comme la destination des fonds à transférer est explicite ;
  • Le montant et le libellé du montant : c’est-à-dire, l’objet pour lequel l’affectation est faite ainsi que la date de l’opération.

Or, sur la période d’enquête qui m’a été notifiée par les magistrats de la Cour, il n’a pas été reçu de ressources financières provenant des fonds de la « Force Covid-19 ». L’exclusivité des dépenses effectuées sur cette période est constituée de ressources du seul budget de l’AGPBE, comme je l’ai dit tantôt. Il n’y a pas eu, en 2020 ni en 2021, le concours des fonds provenant de la « Force Covid-19 » dans l’exécution des dépenses de l’AGPBE. Aussi, ai-je remis aux magistrats tous les originaux des Avis de crédits transmis à l’AGPBE par le Trésor public pour la période auditée.

Ce qui conforte tout ce qui précède peut être lu en pages 94 et 95 du Rapport de la Cour de Compte sur les Fonds de la Force Covid-19.

J’ai donc été relevé de mes fonctions et mis au « frigo » ; c’est le jargon dans l’Administration sénégalaise lorsqu’un agent régulièrement en service est extirpé de toutes les tâches, mis de côté et payé à ne rien faire, s’il n’est pas nommé Conseiller technique (CT), qui ne conseille personne ni rien du tout.

En définitive, ce que vient de nous révéler le rapport de la Cour des Comptes sur la Situation des Finances publiques, Gestions de 2019 au 31 mars 2024 est d’une exactitude déconcertante, hélas. Les péripéties qui précèdent n’en sont qu’un pan et une illustration. Mais le point d’attention sur lequel je vais m’arrêter avant de conclure, est constitué par les « Frais et Commissions » (qui tournent habituellement autour de 1,5 ou 2% du montant de l’emprunt),  que je relève à la page 34 du Rapport, tableau n°30 « Répartition du produit « Sukuk », qui s’élèvent à 6 488 867 910 FCFA. Voila une prime manifeste à la corruption et à l’endettement !

La Cour des Comptes aurait dû s’intéresser aux comptes bancaires où vont atterrir ces milliards. Car, ils ne vont nulle part ailleurs que vers les comptes des « porteurs de dossiers » ; ce sont ceux-là qui suscitent le besoin d’emprunter de la part de l’Etat, de s’endetter, qui créent et organisent les conditions pour que la dette se constitue peu importe comment ce dernier va se démener pour rembourser. Et ce ne sont pas n’importe quels maillons de la chaine ! C’est ainsi que le Directeur de Cabinet du Ministre du Budget m’appelait tous les matins de la part de celui-ci, pour s’enquérir du sort du compte bancaire de l’AGPBE nouvellement créée et qui venait de lever dans une banque de la place, un emprunt de 10 500 000 000 FCFA avec des frais et commissions au taux de 1,5%, soit 157 500 000 FCFA. Puisun jour, plus d’appels : le compte de l’agence venait d’être crédité du montant de l’emprunt, 10,5 milliards, les frais et commissions prélevés à la source ! Cette forme d’enrichissement plus ou moins « licite » a, dans un passé récent et comme l’indique le Rapport de la Cour, grandement participé à gonfler la dette de l’Etat du Sénégal : ce dernier crée des structures, leur fait supporter des emprunts abyssaux qui transitent le plus souvent dans les comptes de celles-ci pour aller financer d’autres besoins occultes. Ce procédé fonctionne comme une sorte de courroie de transmission. Il permet de contourner les rigueurs du cadrage budgétaire imposé par les bailleurs de fonds et de rendre difficile la traçabilité la dette publique, des détournements de fonds et d’objectifs. Il était donc une nécessité vitale, d’insérer dans la réforme bancaire récemment votée par l’Assemblée nationale, la régulation de ces « Frais et commissions » mais aussi et surtout, une réglementation plus stricte des levées de fonds des sociétés nationales. 

L’urgence, en fin de compte, demeure la réforme, non pas de l’Administration penitus se, mais de nos esprits. Car, il s’agira d’amender notre comportement face au bien public, face au besoin ou  à la tentation de l’acquisition du luxe et de la richesse par tous les moyens, de l’accumulation comme disait le Président de la République et, enfin, notre compréhension de la notion de la réussite sociale et, surtout, de l’honneur. Les règles de l’Administration sont bien connues de ceux qui les pratiquent ; ou ils les appliquent ou ils les dévoient comme en font les voyous. C’est ce dernier cas de figurent que la Cour des Comptes vient de mettre au grand jour !

Et le Premier ministre aura raison de dire que nous voulons le changement, mais nous ne sommes pas prêts pour.

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