École inclusive au Sénégal : un mot trop vite prononcé, une réalité encore différée
L’éducation inclusive peut être considérée comme un système où les apprenants ayant des besoins éducatifs spéciaux reçoivent des enseignements basés sur leurs forces et leurs besoins. Ce système fait référence à une prise en charge globale et intégrative de tous les enfants dans une école ouverte au genre, aux spécificités corporelles, psycho-sociales et cultuo-culturelles. Le principe fondamental de l’inclusion scolaire est que l’école doit s’adapter aux différences et non l’inverse.
Au Sénégal, le discours éducatif officiel n’a jamais été aussi emphatique sur l’école inclusive. Plans d’action, séminaires, projets pilotes et engagements internationaux se multiplient, laissant croire à l’avènement d’un système scolaire réellement ouvert à tous. Pourtant, derrière cette rhétorique engageante se cache une réalité beaucoup plus nuancée, voire désespérante. L’école sénégalaise reste largement inaccessible à de nombreux enfants, et l’inclusion véritable demeure un horizon lointain. Il est donc urgent que les professionnels de l’éducation cessent de jouer avec les mots. L’heure est venue de dire la vérité : nous n’avons pas encore d’école inclusive. Nous évoluons dans un système d’inclusion différenciée, partielle, souvent symbolique.
Essayons de voir dans ce qui suit ce qu’on pourrait appeler une surenchère sémantique autour de l’éducation inclusive, ensuite le niveau d’application de l’inclusion différenciée et enfin la nécessité d’une refondation sincère du projet inclusif national sénégalais.
Depuis plusieurs années, le mot « inclusion » a envahi les discours éducatifs. Il est devenu une formule rassurante, brandie pour démontrer la modernité du système. Le Programme sectoriel de l’éducation et de la formation (PAQUET-EF), document stratégique du ministère, affirme : « L’éducation inclusive constitue une priorité dans le cadre de l’atteinte des ODD et de l’équité éducative. » Pourtant, sur le terrain, rien ne permet d’affirmer que cette inclusion est effective. L’école inclusive n’est pas un slogan. Elle suppose des transformations profondes. Or, beaucoup de professionnels se contentent de nommer sans incarner, de promettre sans agir, de proclamer sans transformer.
Le constat est donc clair, l’inflation discursive autour de l’école inclusive au Sénégal relève d’une pure illusion rhétorique. Les discours institutionnels foisonnent de références à l’équité, à l’accessibilité et à l’inclusion, mais ces mots demeurent souvent sans portée réelle. Derrière cette façade langagière, la réalité du terrain révèle une école qui continue d’exclure subtilement, faute de moyens, de formation adaptée et d’infrastructures accessibles. Le concept d’école inclusive est brandi dans les plans stratégiques, mais rarement traduit en actes concrets et durables. Pire encore, cette rhétorique bien rodée sert parfois à masquer les inégalités persistantes et à légitimer l’inaction. En prétendant que l’inclusion est déjà en marche, on neutralise les critiques et on évite les réformes profondes. Cette manipulation sémantique, consciente ou non, éloigne le système éducatif de l’exigence de vérité et de justice. Ainsi, tant que le mot « inclusion » servira davantage à communiquer qu’à transformer, il restera une coquille vide.
Au Sénégal, l’inclusion différenciée reste une réalité structurelle et systémique parce que le système éducatif demeure inadapté à la diversité des profils d’apprenants. Hérité d’un modèle différenciée et une logique de sélection, laissant en marge les élèves en situation de handicap, les enfants talibés, ou encore ceux issus de milieux défavorisés. À cela s’ajoute une formation insuffisante des enseignants sur les approches inclusives, rendant difficile toute prise en colonial élitiste, l’enseignement repose encore sur des normes uniformes, une pédagogie peu charge adaptée en classe. Le sous-financement chronique du secteur empêche l’acquisition de matériel pédagogique spécialisé et la mise en œuvre d’infrastructures accessibles. En outre, les politiques inclusives sont souvent limitées à des projets pilotes soutenus par des partenaires extérieurs, sans intégration systémique dans les réformes éducatives nationales. Enfin, l’inclusion est trop souvent perçue comme une faveur accordée, et non comme un droit garanti par l’État. Cette posture entretient une logique d’exception au lieu d’instituer une norme fondée sur l’équité. Ainsi, l’inclusion différenciée résulte moins d’un refus volontaire que d’un enchevêtrement de facteurs historiques, institutionnels, financiers et culturels qui structurent le système éducatif sénégalais en profondeur. La véritable école inclusive reste donc un chantier à engager avec rigueur, volonté politique et vision.
Ce que nous appelons « école inclusive » n’est bien souvent qu’une inclusion conditionnelle, dépendante de moyens rares et d’engagements flous. Selon une étude de Humanité & Inclusion (2021), « moins de 2 % des enfants en situation de handicap accèdent à l’école formelle au Sénégal », (un millier d’enfants, environ). Par ailleurs, les élèves talibés, les enfants des zones rurales isolées, ou ceux issus de familles très pauvres sont souvent exclus du système scolaire classique. Très peu d’enseignants sont formés à la pédagogie inclusive. Les infrastructures restent inadaptées. Comme l’aurait reconnu le Ministre de l’Éducation nationale Serigne Mbaye Thiam,: « Nous sommes encore loin de pouvoir dire que l’école est inclusive ; nous sommes sur la voie. » Cela suffit à rappeler que les déclarations d’intention ne doivent pas masquer l’exclusion persistante. Ces mots auraient été prononcés par le MEN Thiam, lors de la Conférence sur le financement du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE). Monsieur Thiam n’avait pas manqué de souligner les progrès réalisés tout en reconnaissant les défis persistants dans la mise en œuvre d’une éducation véritablement inclusive au Sénégal.
Face à cette déconnexion entre les mots et les actes, il faut un sursaut collectif vers une refondation sincère du projet inclusif. Cela commence par une rigueur conceptuelle : ne pas appeler inclusion ce qui ne l’est pas. Il faut ensuite des engagements fermes : des budgets conséquents, une réforme de la formation initiale des enseignants, un programme national d’accessibilité scolaire. Comme le stipule la Constitution du Sénégal (art. 21) : « Tous les enfants ont droit à l’éducation. L’État doit assurer l’égal accès à l’instruction pour tous. » C’est ce principe fondamental qui doit guider toute politique d’inclusion. Il ne s’agit plus de promouvoir un idéal abstrait, mais de poser les bases concrètes d’une école accueillante, équitable et adaptée.
Partir de la caractérisation issue du rapport provisoire sur les personnes en situation de handicap faisant suite au 5ème recensement général de la population et de l’habitat (RGPH-5) est déjà un premier pas décisif. En effet, on y distingue les handicaps selon les difficultés intimes des personnes affectées : les difficultés à voir, les difficultés à marcher (handicaps les plus répandus), les difficultés à entendre, les difficultés à se souvenir ou à se concentrer, les difficultés à prendre soin de soi et les difficultés à communiquer. C’est bien sur la base de cette distinction que nous pouvons arriver à identifier les besoins spéciaux de chaque catégorie pour mieux les appréhender au niveau de la formation des enseignants.
Deux pourcent (2%) seulement des enfants en situation de handicap sont scolarisés au Sénégal, cela montre l’importance du nombre d’enfants « invisibles » dans les politiques publiques d’accompagnement du handicap, comme dans celles de protection de l’enfance. Ainsi, l’écrasante majorité des enfants en situation de handicap sont des oubliés des systèmes d’information existants, et ils ne sont ainsi ni quantifiés ni identifiés.
Alors même que l’environnement juridique qui exige une telle pratique existe déjà depuis des lustres. L’article 23 de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies ; l’article 12 de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, adoptée par les Chefs d’Etats et de Gouvernements à Addis Abeba en Ethiopie, en juillet 1990 ; l’adoption des Règles Universelles pour l’Égalisation des Chances des personnes handicapée par l ’Assemblée Générale des Nations Unies en 1993 (Règle 6) ; etc. Ce dispositif sera renforcé par les conclusions de la conférence de Salamanque (Juin 1994) qui ont remis au goût du jour les Besoins Éducatifs Spéciaux comme une condition sine qua non de l’atteinte des objectifs de l’EPT. Or, le Sénégal a ratifié toutes les conventions et chartes internationales, a participé et abrité de nombreuses rencontres visant à atteindre l’éducation pour tous. Dès cet instant, tenant compte du principe d’éducabilité de tous, point nodal de la pédagogie inclusive, selon lequel « tous les enfants sont capables d’apprendre quelles que soient leurs difficultés », les enseignants que nous sommes, devons oser l’opération transcendantale sur ce mode d’enseignement qui débouchera sur la pédagogie de « l’inclusion différenciée ».
Finalement, nous nous rendons compte que l’école inclusive ne se proclame pas, elle se bâtit. Dès lors, il est temps d’arrêter de travestir la réalité derrière des mots creux. Tant que nous continuerons à masquer l’exclusion par le vernis de l’inclusion proclamée, nous trahirons nos enfants. Comme le rappelle l’UNESCO : « L’éducation inclusive est un processus sans fin, exigeant un engagement constant. » Cessons de jouer avec les mots. Faisons enfin de l’inclusion un projet structurant et sincère, pour une école où chaque enfant compte, et surtout, où aucun n’est oublié. Les enfants handicapés font l’objet de dispositions spécifiques : accès aux soins, droit à l’éducation, entre autres. Il faudra sans arrêt rappeler qu’il leur est reconnu notamment, le droit à « mener une vie pleine et décente, dans des conditions qui garantissent leur dignité, favorisent leur autonomie et facilitent leur participation active à la vie de la collectivité ».