Non! à cette loi sur la parité (par Lamine Aysa Fall Ndiaye)

Le monde, la société se transforment en profondeur: le leadership doit évoluer pour prendre en compte la

Lamine Aysa Fall Ndiaye

vision à long terme au-delà des urgences, ainsi que les aspirations des plus simples aux plus complexes des femmes et des hommes. Ceci est ma conviction.
Cependant, je ne peux me taire et faire comme si de rien n’était, face à tant de forfaitures. Car, j’estime que le gouvernement de la première alternance politique au Sénégal a commis le plus gros hold-up politique avec l’adoption par l’Assemblée nationale de la loi sur la parité. En rappelant régulièrement combien la parité permettait d’inscrire à l’agenda national et local des politiques d’égalité, les autorités cachaient très mal leurs motivations politiciennes. Ils ne visaient que l’implosion consécutive aux investitures dans les partis politiques.
Ce texte de loi qui a été majoritairement adopté par le Parlement, stipule que « toutes les listes électorales prévues pour des institutions de la République devront être composées de manière alternée d’hommes et de femmes. Quand les listes n’obéiront pas à ce principe, elles seront tout simplement invalidées ». Selon un rapport de la commission des lois, les femmes qui représentent 52 % de la population sénégalaise, restent encore minoritaires parmi les élus et leur participation à la prise de décision politique est en décalage avec leur poids dans la société. Inutile de préciser que je suis loin de cautionner cette triste réalité. Cependant, je reconnais que c’est un constat qui n’est pas assez pertinent pour amener les autorités politiques à aller dans le sens de l’adoption d’une telle loi mal conçue. Nous avons été nombreux à remarquer que la solution proposée n’était qu’un remède de façade. Et qu’ici, la proposition et l’adoption de celle-ci dans la précipitation ne visaient qu’à plaire aux femmes africaines qui avaient prévu d’organiser à Dakar, la Conférence internationale sur la parité. En prélude à cette manifestation d’envergure, le Président Wade tenait à faire son clin d’oeil à la Présidente du Libéria. Ces assises sur la parité devaient voir la participation de la présidente, Ellen Johnson, que les femmes leaders d’Afrique voulaient bien honorer en lui décernant le prix sur la parité. Et comme le nombre de 300 à 400 femmes avait été annoncé, ce rendez-vous du mois de juin 2010 était considéré par le régime en place comme à ne pas manquer. Mais, il fallait avoir quelque chose à y dire, et surtout à y apporter. Voilà la raison, à mon avis qui a précipité l’adoption de ce texte de loi. Mais, pour quel résultat ? Même le Parti-Etat n’a pas pu respecter son application dans la confection de ses listes pour les dernières élections législatives.
Rappelons-le, trois députés seulement avaient eu le « toupet historique » de voter contre la loi, au-delà des clivages politiques traditionnels. Ces trois résistants, comme je les ai toujours nommés, avaient-ils vraiment les mêmes raisons, les mêmes motivations pour dire non à ce texte ? Qui sait ? Mais, là n’est pas la question.
Bien sûr, je comprends bien la joie légitime de ses femmes interrogées par RFI et d’autres radios dans les rues de la capitale, disant leur satisfaction de voir une telle mesure adoptée. En réalité, j’aurai bien voulu exploser de joie à l’instar de toutes ces reines, mais ce serait sans appréhender les véritables motivations de l’initiateur de ce terrible intrus de l’arsenal juridique du pouvoir libéral issu des élections présidentielles de mars 2000. C’est simple, il fallait saisir la double occasion de satisfaire une frange importante de la population, et en même temps installer une pagaille désorganisée au sein des formations politiques rivales. Que l’on ne me demande pas comment ! L’investiture dans une liste de parti ou de coalition de partis relève du mérite. La place occupée dans une liste est, pour la plupart (dans les organisations démocratiques), à la mesure des sacrifices et privations d’un militantisme sérieux et déterminé. La base politique ou capacité de mobilisation, comme le pensent certains de mes compagnons de lutte, ne saurait être un critère pertinent dans les choix des hommes ou femmes à investir. C’est la non prise en compte de cette grande nuance qui a donné naissance au phénomène de transhumance politique sous nos cieux. Ainsi, il était possible à certains, du seul fait de leurs « capabilités » à drainer des foules (souvent à coup d’argent et non par conviction), de valser au gré de la verdure des prairies. Que nenni ! La force mobilisatrice n’est assez forte que dans la constance à se maintenir dans une seule et même ligne politique, et dans la persévérance dans le combat pour le triomphe de ses idées et le refus de l’usurpation.
Je ne cesserai de le dire, la place dans une liste de parti ou de coalition de partis n’est pas acquise par fantaisie, au dernier virage. Elle se mérite et est la résultante d’une lutte de positionnement de longue haleine. On ne peut s’improviser deuxième, troisième ou dixième dans une liste ambitieuse du simple fait de son appartenance (même sexuelle). Nous ne sommes pas bien ou mal placés parce que nous sommes femmes ou hommes, mais parce que notre oeuvre au sein du groupe milite en faveur d’une reconnaissance certaine ou non, du parti à notre endroit. Et, c’est cela tout le sens des compétitions internes (saines) pour le bien des structures. C’est aussi cela qui sert de motivation aux uns et aux autres dans une organisation qui se veut performante. Je garde l’espoir qu’un jour, une femme, par souci d’équité, refuse d’être parachutée devant un tel, jugé par elle, plus méritant.
C’était un vendredi 14 mai 2010. Après le vote, je contenais ma satisfaction prudente tout en me demandant ce que nous allions bien pouvoir faire avec cet instrument. Une loi, c’est avant tout un droit conquis, qui exige des comportements en terme de devoir. Mais, elle doit surtout être une véritable fille de son époque (c’est-à-dire d’un temps et d’un lieu d’émergence précis). Or, cette loi du 14 mai 2010 n’était pas vraiment née des entrailles profondes des profondeurs de notre peuple. Cette loi est née des revendications des organismes de droits humains occidentaux. Du coup, elle est apparue comme le résultat d’une lutte par procuration de ces associations issues de sociétés qui sont d’une autre histoire. Rappelons que la soeur jumelle de cette loi a été adoptée en France le 06 juin 2000, et que jusqu’à ce jour, les hémicycles français sont encore majoritairement masculins, exception faite des conseils municipaux et régionaux (51,9% et 52,4%).
Les défenseurs de la loi sur la parité au Sénégal savent-ils vraiment qu’en France (miroir juridique de notre législateur), nous avons 81,5% d’hommes à l’Assemblée nationale, 77,9% d’hommes au Sénat et 86,1% d’hommes dans les conseils généraux ? J’ose croire que non !
C’est dire donc, que les modalités d’application de cette loi a rencontré d’énormes difficultés, même en France (cf. travaux de l’Observatoire sur la parité politique en France, 2011 ; 12 Recommandations pour 2012-Parité politique).
Nous sommes à la veille des législatives françaises de Juin 2012, et la France n’est pas encore prête à appliquer la parité politique Femme-Homme. Et cela, ni l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes (OPFH), ni son DOVALE (DOcument de Valorisation des Actions Locales pour l’Egalité entre les femmes et les hommes) ne pourront rien y faire. Les transformations en profondeur ne s’opèrent pas du jour au lendemain, même en France. Alors, je m’étonne et m’interroge sur les raisons qui sous-tendent depuis ce fameux vendredi du 14 mai 2010 le silence quasi absolu de la quasi-totalité des hommes politiques sénégalais sur cette question. Ont-ils été anesthésiés sur ce coup, à ce point par le juridisme wadien ?
Le constat est là. Les partis politiques, tous en silence, ruminent leur colère et leur angoisse d’une menace d’implosion.
Ces mots ne sont pas un avis contre l’émancipation ou le leadership féminin. Je veux juste parler « démocratie » puis qu’on m’y invite. Ma conviction est que les progrès démocratiques ne se mesurent pas avec une règle. Pour être clair, dans l’application juste et équitable des
règles démocratiques, il peut arriver de noter que « 2 et 2 font 5 ». Par conséquent, nous croyons avoir fait un bon emprunt, alors que nous sommes entrain de nous tromper. La mise en oeuvre pour laquelle nous avons optée n’est conforme ni à notre éthique, ni à notre culture. Il est temps d’arrêter, car en démocratie, il est permis de se tromper. Mais, lorsque cela advient, nous devons avoir le courage de rectifier dans le seul but de nous améliorer. Cela ne devrait pas être compliqué, car beaucoup de juristes reconnaissent le problème de cette loi. Par exemple, pourquoi chez nous, la recevabilité des listes est conditionnée au respect de la parité alternée ? Le bon sens aurait recommandé de faire comme la France (jusqu’au bout de sa logique), c’est-à-dire assortir le non respect de cette loi d’une amende. Car, comme le pense le Professeur de Droit et ancien recteur de l’Université de Dakar, Abdel Kader Boye, dans un pays comme la France dont « la législation a inspiré notre Constitution, la sanction de l’inobservation de la parité est une sanction purement financière pour les partis politiques. Elle n’est pas une sanction qui va jusqu’à dire que c’est une irrecevabilité » (Dakar, 27 avril 2012, APS)
Dans tous les partis politiques, l’atmosphère entre camarades est délétère, toxique. On s’accuse mutuellement de mauvais perdants, de vouloir faire obstacle à la carrière politique des autres. On menace de représailles musclées devant la perte de la place visée. Certains entre définitivement en rivalité malsaine avec d’autres au sein d’une même instance de décision. Des camarades de même parti se menacent de se tirer des balles dans les jambes pour avoir été lésés.
Tout cela du fait d’une mauvaise compréhension de la source de notre problème. C’est moins des bisbilles ou coups bas entre camarades, que la sévérité et la mise en oeuvre de la loi sur la parité. Arrêtons de nous regarder en ennemi et osons attaquer cette loi.
Aujourd’hui encore, nous continuons d’en faire les frais.

Lamine Ndiaye

Militant APR/ Thiès-nord

less_ndiaye@yahoo.fr

4 commentaires

  1. Votre analyse est tres pertinente. C’est malheureux que nos leaders poliques n’ont pas eu le courage de denoncer cette loi qui n’a aucun sens. elle ne fera que nous enfoncer de plus en plus dans la mediocrite.

Répondre à La liste non paritaire de Touba recevable (Lamine Aysa Fall) | Lance-pierre Annuler la réponse.